HC/E/CH 841
Suisse
Tribunal fédéral, 2ème Chambre Civile (Suisse)
Instance Suprême
Italie
Suisse
15 November 2005
Définitif
Résidence habituelle - art. 3 | Droit de garde - art. 3 | Acquiescement - art. 13(1)(a) | Risque grave - art. 13(1)(b) | Questions procédurales
Recours rejeté, retour ordonné
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Après avoir rappelé qu'en cas de recours de droit public fondé sur une violation conventionnelle, il n'appartient au tribunal fédéral que de vérifier l'absence d'arbitraire dans l'appréciation des faits par un tribunal inférieur, le tribunal décida que la cour d'appel n'avait pas commis d'erreur manifeste ni de confusion lorsqu'elle avait estimé que les enfants avaient vécu en Italie du 18 décembre 2004 au 26 mai 2005. Il résultait en effet des diverses pièces que l'aînée avait été retirée de la crèche suisse à la mi décembre car la famille voulait voyager en Italie ; la mère reconnaissait que les enfants étaient certes retournés en Suisse lorsque la famille avait rendu l'appartement en janvier mais qu'ils avaient vécu ensuite en Italie jusqu'au déplacement.
Le tribunal fédéral rappela que la notion de résidence habituelle doit être interprétée de manière autonome, l'article 20 de la loi suisse de droit international privé ne pouvant s'appliquer. Cette notion correspond « au centre effectif de la vie et de ses attaches » qui résulte de la durée du séjour et des relations qui se sont crées ou de la durée et de l'intégration qui avait été prévue.
Selon la cour d'appel, le séjour de la famille en Italie devait être de relativement longue durée puisque les parents devaient y diriger une petite auberge. La mère n'avait conservé en Suisse qu'un petit logement et un travail à temps partiel et elle rejoignait le père et les enfants en Suisse toutes les deux semaines et lors de longs week-ends. Les enfants étaient gardés par une nourrice ou allaient à une crèche locale tandis que le père travaillait à l'établissement de l'auberge.
Le tribunal fédéral, rappelant que la doctrine préconisait généralement qu'un séjour d'une durée d'environ six mois suffit à établir une nouvelle résidence, en déduisit que les enfants avaient bien leur résidence habituelle en Italie : le centre effectif de leur vie étant fortement lié à leurs proches, il fallait considérer que les enfants avaient vécu de manière stable 5 mois et demi avec leurs parents dans le même logement en Italie ; le fait qu'ils étaient gardés la journée par des tiers et que la mère était parfois absente ou qu'ils étaient retournés chez leur pédiatre suisse pour des vaccinations n'y changeait rien.
Vu les mesures prises par les parents, il ne s'agissait pas, comme le prétendait la mère, que de vacances prolongées : les parents avaient bien prévu de quitter la Suisse pour travailler et vivre en Italie. Or, selon la doctrine suisse, un enfant acquiert immédiatement une nouvelle résidence habituelle en cas de déménagement avec les parents en ayant la garde. C'était donc à bon droit que la cour d'appel avait estimé que les enfants avaient leur résidence habituelle en Italie au moment du déplacement.
La cour d'appel avait conclu à la violation du droit de garde du père, au motif que la garde des enfants était conjointe et que le père l'exerçait effectivement au moment du déplacement. Selon la mère, la cour n'aurait pas dû admettre l'applicabilité de la Convention de La Haye car les juridictions suisses avaient confié les enfants aux soins de leur mère le 27 juin 2005, que le père n'avait demandé le retour que le 5 juillet et que la décision du 13 juillet 2005 qui mettait fin à cette mesure méconnaissait l'article 16 de la Convention.
Le tribunal fédéral, rappelant la teneur de l'article 16 de la Convention, réfuta l'argument de le mère, expliquant que lorsque les autorités administratives ou judiciaires d'un Etat contractant ont été informées de l'illicéité du déplacement, elles ne doivent pas prendre de décisions au fond jusqu'à ce qu'il ait été statué sur la demande de retour - toute procédure en cours devant être suspendue jusqu'à ce qu'une décision passée en force de chose jugée ait rejetté la demande de retour.Le tribunal fédéral rappela également que la garde est régie par la loi de la résidence habituelle, en l'espèce donc la loi italienne. Les parents, mariés, disposaient de la garde conjointe.
La mère prétendait que le père avait consenti ou acquiescé au déplacement. Le tribunal fédéral rappela que l'article 13 alinéa 1 a est applicable lorsque le parent victime a donné clairement son accord (de manière explicite ou tacite) au changement durable de la résidence de l'enfant en cause. La charge de la preuve appartient au parent rapteur, qui doit établir que des éléments de fait objectifs ont pu le conduire à croire à l'existence de l'accord de l'autre parent.
Selon la cour d'appel, il était patent que le père, en payant une partie des frais de crèche suisse et en envoyant à la mère une partie des affaires des enfants avait dans un premier temps simplement pris les mesures pratiques que requérait la situation nouvelle alors qu'il s'estimait responsable de la dispute qui avait conduit au départ de la mère et qu'il essaierait plus tard de la convaincre de revenir en Italie. Le tribunal fédéral estima que cette position de la cour d'appel pouvait être approuvée dans la mesure où la mère n'avait pas pu déduire avec certitude de ces éléments que le père acceptait le retour définitif des enfants en Italie
La mère prétendait que le retour des enfants en Italie les exposerait à un risque grave de danger étant donné qu'elle ne pourrait plus alors s'occuper d'eux et que les enfants seraient ainsi confiés à des tiers puisque le père n'avait pas les capacités pédagogiques ni la santé nécessaires pour s'occuper d'eux.
Le tribunal fédéral rappela que l'exception de l'article 13 alinéa 1 b était d'interprétation stricte, et que seuls des dangers réellement graves pouvaient être pris en compte. Il n'appartenait pas aux juges dans le cadre de l'application de la Convention de La Haye de rechercher avec quel parent il serait préférable que les enfants vivent désormais mais simplement de restaurer le status quo ante.
Or les capacités d'éducation et le mode de garde des enfants (crèche, assistante maternelle etc) en cas de retour en Italie ne représentaient pas un risque grave de danger (alors d'ailleurs que la mère avait les acceptés avant le déplacement). Rien dans la décision d'appel ne suggérait au demeurant que le père fût incapable pour des raisons de santé de s'occuper des enfants.
En outre, la séparation de la mère ne suffisait pas à elle seule à justifier l'application de l'article 13 alinéa 1 b, cette question n'étant pertinente que dans le cadre de l'instance tendant à la garde. Certes le principe consistant à ne pas prendre en compte la séparation du parent rapteur dans le cadre de l'article 13 alinéa 1 b est limité s'agissant d'enfants très jeunes qui ont été enlevés par leur mère.
En l'espèce, comme l'avait constaté la cour d'appel, les enfants étaient encore très jeunes au moment du retour ; toutefois un retour peut malgré tout être considéré lorsque le père s'est occupé des enfants avant l'enlèvement, ainsi que c'était le cas en l'espèce.
En outre, le tribunal fédéral observa qu'il appartenait à la mère de faire en sorte de retourner en Italie afin de faire passer l'intérêt les enfants avant son propre intérêt. L'attestation de son médecin selon laquelle il ne pouvait être exigé de la mère qu'elle retourne en Italie ne pouvait être considéré, s'agissant d'un élément nouveau. Le tribunal fédéral en conclut que l'article 13 alinéa 1 b était inapplicable.
Il convient de noter que par décision du Président du tribunal (sur demande de la mère) il avait été accordé au recours de droit public un effet suspensif d'exécution.
L'interprétation de la notion centrale de résidence habituelle (préambule, art. 3 et 4) s'est révélée particulièrement problématique ces dernières années, des divergences apparaissant dans divers États contractants. Une approche uniforme fait défaut quant à la question de savoir ce qui doit être au cœur de l'analyse : l'enfant seul, l'enfant ainsi que l'intention des personnes disposant de sa garde, ou simplement l'intention de ces personnes. En conséquence notamment de cette différence d'approche, la notion de résidence peut apparaître comme un élément de rattachement très flexible dans certains États contractants ou un facteur de rattachement plus rigide et représentatif d'une résidence à long terme dans d'autres.
L'analyse du concept de résidence habituelle est par ailleurs compliquée par le fait que les décisions concernent des situations factuelles très diverses. La question de la résidence habituelle peut se poser à l'occasion d'un déménagement permanent à l'étranger, d'un déménagement consistant en un test d'une durée illimitée ou potentiellement illimitée ou simplement d'un séjour à l'étranger de durée déterminée.
Tendances générales:
La jurisprudence des cours d'appel fédérales américaines illustre la grande variété d'interprétations données au concept de résidence habituelle.
Approche centrée sur l'enfant
La cour d'appel fédérale des États-Unis d'Amérique du 6e ressort s'est prononcée fermement en faveur d'une approche centrée sur l'enfant seul :
Friedrich v. Friedrich, 983 F.2d 1396, 125 ALR Fed. 703 (6th Cir. 1993) (6th Cir. 1993) [Référence INCADAT : HC/E/USf 142]
Robert v. Tesson, 507 F.3d 981 (6th Cir. 2007) [Référence INCADAT : HC/E/US 935]
Voir aussi :
Villalta v. Massie, No. 4:99cv312-RH (N.D. Fla. Oct. 27, 1999) [Référence INCADAT : HC/E/USf 221].
Approche combinée des liens de l'enfant et de l'intention parentale
Les cours d'appel fédérales des États-Unis d'Amérique des 3e et 8e ressorts ont privilégié une méthode où les liens de l'enfant avec le pays ont été lus à la lumière de l'intention parentale conjointe.
Le jugement de référence est le suivant : Feder v. Evans-Feder, 63 F.3d 217 (3d Cir. 1995) [Référence INCADAT : HC/E/USf 83].
Voir aussi :
Silverman v. Silverman, 338 F.3d 886 (8th Cir. 2003) [Référence INCADAT : HC/E/USf 530] ;
Karkkainen v. Kovalchuk, 445 F.3d 280 (3rd Cir. 2006) [Référence INCADAT : HC/E/USf 879].
Dans cette dernière espèce, une distinction a été pratiquée entre la situation d'enfants très jeunes (où une importance plus grande est attachée à l'intention des parents - voir par exemple : Baxter v. Baxter, 423 F.3d 363 (3rd Cir. 2005) [Référence INCADAT : HC/E/USf 808]) et celle d'enfants plus âgés pour lesquels l'intention parentale joue un rôle plus limité.
Approche centrée sur l'intention parentale
Aux États-Unis d'Amérique, la Cour d'appel fédérale du 9e ressort a rendu une décision dans l'affaire Mozes v. Mozes, 239 F.3d 1067 (9th Cir. 2001) [Référence INCADAT : HC/E/USf 301], qui s'est révélée très influente en exigeant la présence d'une intention ferme d'abandonner une résidence préexistante pour qu'un enfant puisse acquérir une nouvelle résidence habituelle.
Cette interprétation a été reprise et précisée par d'autres décisions rendues en appel par des juridictions fédérales de sorte qu'en l'absence d'intention commune des parents en cas de départ pour l'étranger, la résidence habituelle a été maintenue dans le pays d'origine, alors même que l'enfant a passé une période longue à l'étranger. Voir par exemple :
Holder v. Holder, 392 F.3d 1009 (9th Cir 2004) [Référence INCADAT : HC/E/USf 777] : Résidence habituelle maintenue aux États-Unis d'Amérique malgré un séjour prévu de 4 ans en Allemagne ;
Ruiz v. Tenorio, 392 F.3d 1247 (11th Cir. 2004) [Référence INCADAT : HC/E/USf 780] : Résidence habituelle maintenue aux États-Unis d'Amérique malgré un séjour de 32 mois au Mexique ;
Tsarbopoulos v. Tsarbopoulos, 176 F. Supp.2d 1045 (E.D. Wash. 2001) [INCADAT : HC/E/USf 482] : Résidence habituelle maintenue aux États-Unis d'Amérique malgré un séjour de 27 mois en Grèce.
La décision rendue dans l'affaire Mozes a également été approuvée par les cours fédérales d'appel du 2e et du 7e ressort :
Gitter v. Gitter, 396 F.3d 124 (2nd Cir. 2005) [Référence INCADAT : HC/E/USf 776] ;
Koch v. Koch, 450 F.3d 703 (2006 7th Cir.) [Référence INCADAT : HC/E/USf 878] ;
Il convient de noter que dans l'affaire Mozes, la Cour a reconnu que si suffisamment de temps s'est écoulé et que l'enfant a vécu une expérience positive, la vie de l'enfant peut être si fermement attachée à son nouveau milieu qu'une nouvelle résidence habituelle doit pouvoir y être acquise nonobstant l'intention parentale contraire.
Autres États contractants
Dans d'autres États contractants, la position a évolué :
Autriche
La Cour suprême d'Autriche a décidé qu'une résidence de plus de six mois dans un État sera généralement caractérisée de résidence habituelle, quand bien même elle aurait lieu contre la volonté du gardien de l'enfant (puisqu'il s'agit d'une détermination factuelle du centre de vie).
8Ob121/03g, Oberster Gerichtshof [Référence INCADAT: HC/E/AT 548].
Canada
Au Québec, au contraire, l'approche est centrée sur l'enfant :
Dans Droit de la famille 3713, No 500-09-010031-003 [Référence INCADAT : HC/E/CA 651], la Cour d'appel de Montréal a décidé que la résidence habituelle d'un enfant est simplement une question de fait qui doit s'apprécier à la lumière de toutes les circonstances particulières de l'espèce en fonction de la réalité vécue par l'enfant en question, et non celle de ses parents. Le séjour doit être d'une durée non négligeable (nécessaire au développement de liens par l'enfant et à son intégration dans son nouveau milieu) et continue, aussi l'enfant doit-il avoir un lien réel et actif avec sa résidence; cependant, aucune durée minimale ne peut être formulée.
Allemagne
Une approche factuelle et centrée sur l'enfant ressort également de la jurisprudence allemande :
2 UF 115/02, Oberlandesgericht Karlsruhe [Référence INCADAT: HC/E/DE 944].
La Cour constitutionnelle fédérale a ainsi admis qu'une résidence habituelle puisse être acquise bien que l'enfant ait été illicitement déplacé dans le nouvel État de résidence :
Bundesverfassungsgericht, 2 BvR 1206/98, 29. Oktober 1998 [Référence INCADAT: HC/E/DE 233].
La Cour constitutionnelle a confirmé l'analyse de la Cour régionale d'appel selon laquelle les enfants avaient acquis leur résidence habituelle en France malgré la nature de leur déplacement là-bas. La Cour a en effet considéré que la résidence habituelle était un concept factuel, et les enfants s'étaient intégrés dans leur milieu local pendant les neuf mois qu'ils y avaient vécu.
Israël
Des approches alternatives ont été adoptées lors de la détermination de la résidence habituelle. Il est arrivé qu'un poids important ait été accordé à l'intention parentale. Voir :
Family Appeal 1026/05 Ploni v. Almonit [Référence INCADAT: HC/E/Il 865] ;
Family Application 042721/06 G.K. v Y.K. [Référence INCADAT: HC/E/Il 939].
Cependant, il a parfois été fait référence à une approche plus centrée sur l'enfant. Voir :
décision de la Cour suprême dans C.A. 7206/03, Gabai v. Gabai, P.D. 51(2)241 ;
FamA 130/08 H v H [Référence INCADAT: HC/E/IL 922].
Nouvelle-Zélande
Contrairement à l'approche privilégiée dans l'affaire Mozes, la cour d'appel de la Nouvelle-Zélande a expressément rejeté l'idée que pour acquérir une nouvelle résidence habituelle, il convient d'avoir l'intention ferme de renoncer à la résidence habituelle précédente. Voir :
S.K. v. K.P. [2005] 3 NZLR 590 [Référence INCADAT: HC/E/NZ 816].
Suisse
Une approche factuelle et centrée sur l'enfant ressort de la jurisprudence suisse :
5P.367/2005/ast, Bundesgericht, II. Zivilabteilung (Tribunal Fédéral, 2ème Chambre Civile) [Référence INCADAT: HC/E/CH 841].
Royaume-Uni
L'approche standard est de considérer conjointement la ferme intention des personnes ayant la charge de l'enfant et la réalité vécue par l'enfant.
Re J. (A Minor) (Abduction: Custody Rights) [1990] 2 AC 562, [1990] 2 All ER 961, [1990] 2 FLR 450, sub nom C. v. S. (A Minor) (Abduction) [Référence INCADAT: HC/E/UKe 2].
Pour un commentaire doctrinal des différentes approches du concept de résidence habituelle dans les pays de common law. Voir :
R. Schuz, « Habitual Residence of Children under the Hague Child Abduction Convention: Theory and Practice », Child and Family Law Quarterly, Vol. 13, No1, 2001, p.1 ;
R. Schuz, « Policy Considerations in Determining Habitual Residence of a Child and the Relevance of Context » Journal of Transnational Law and Policy, Vol. 11, 2001, p. 101.
Questions de compétence dans le cadre de la Convention de La Haye (art. 16)
Le but de la Convention étant d'assurer le retour immédiat d'enfants enlevés dans leur État de résidence habituelle pour permettre l'ouverture d'une procédure au fond, il est essentiel qu'une procédure d'attribution de la garde ne soit pas commencée dans l'État de refuge. À cette fin, l'article 16 dispose que :
« Après avoir été informées du déplacement illicite d'un enfant ou de son non-retour dans le cadre de l'article 3, les autorités judiciaires ou administratives de l'Etat contractant où l'enfant a été déplacé ou retenu ne pourront statuer sur le fond du droit de garde jusqu'à ce qu'il soit établi que les conditions de la présente Convention pour un retour de l'enfant ne sont pas réunies, ou jusqu'à ce qu'une période raisonnable ne se soit écoulée sans qu'une demande en application de la Convention n'ait été faite. »
Les États contractants qui sont également parties à la Convention de La Haye de 1996 bénéficient d'une plus grande protection en vertu de l'article 7 de cet instrument.
Les États contractants membres de l'Union européenne auxquels s'applique le règlement (CE) n°2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 (règlement Bruxelles II bis) bénéficient d'une protection supplémentaire en vertu de l'article 10 de cet instrument.
L'importance de l'article 16 a été notée par la Cour européenne des droits de l'Homme :
Iosub Caras v. Romania, Requête n° 7198/04, (2008) 47 E.H.R.R. 35, [Référence INCADAT : HC/E/ 867]
Carlson v. Switzerland, Requête n° 49492/06, 8 novembre 2008, [Référence INCADAT : HC/E/ 999]
Dans quelles circonstances l'article 16 doit-il être appliqué ?
La Haute Cour (High Court) d'Angleterre et du Pays de Galles a estimé qu'il revient aux tribunaux et aux avocats de prendre l'initiative lorsque des éléments indiquent qu'un déplacement ou non-retour illicite a eu lieu.
R. v. R. (Residence Order: Child Abduction) [1995] Fam 209, [Référence INCADAT : HC/E/UKe 120].
Lorsqu'un tribunal prend connaissance, expressément ou par présomption, d'un déplacement ou non-retour illicite, il est informé de ce déplacement ou non-retour illicite au sens de l'article 16. Il incombe en outre au tribunal d'envisager les mesures à prendre pour s'assurer que le parent se trouvant dans cet État est informé de ses droits dans le cadre de la Convention.
Re H. (Abduction: Habitual Residence: Consent) [2000] 2 FLR 294, [Référence INCADAT : HC/E/UKe 478]
Les avocats, même ceux des parents ravisseurs, ont le devoir d'attirer l'attention du tribunal sur la Convention lorsque cela est pertinent.
Portée et durée de la protection conférée par l'article 16 ?
L'article 16 n'empêche pas la prise de mesures provisoires et de protection :
Belgique
Cour de cassation 30/10/2008, CG c BS, n° de rôle: C.06.0619.F, [Référence INCADAT : HC/E/BE 750]. Dans ce cas d'espèce les mesures provisoires devinrent toutefois définitives et le retour ne fut jamais appliqué en raison d'un changement des circonstances.
Une demande de retour doit être déposée dans un laps de temps raisonnable :
France
Cass. Civ. 1ère, 9 juillet 2008 (pourvois n° K 06-22090 et M 06-22091), 9.7.2008, [Référence INCADAT : HC/E/FR 749] ;
Royaume-Uni - Angleterre et Pays de Galles
R. v. R. (Residence Order: Child Abduction) [1995] Fam 209, [Référence INCADAT : HC/E/UKe 120].
Une ordonnance de retour devenue définitive mais n'ayant pas encore été exécutée entre dans le champ de l'article 16 :
Allemagne
Bundesgerichtshof, XII. Décision du Zivilsenat du 16 août 2000 - XII ZB 210/99, BGHZ 145, 97 16 August 2000 [Référence INCADAT : HC/E/DE 467].
L'article 16 ne s'appliquera plus lorsqu'une ordonnance de retour ne peut être exécutée :
Suisse
5P.477/2000/ZBE/bnm, [Référence INCADAT : HC/E/CH 785].
Les tribunaux d'un nombre très majoritaire d'États considèrent que le droit pour un parent de s'opposer à ce que l'enfant quitte le pays est un droit de garde au sens de la Convention. Voir :
Australie
In the Marriage of Resina [1991] FamCA 33, [Référence INCADAT : HC/E/AU 257];
State Central Authority v. Ayob (1997) FLC 92-746, 21 Fam. LR 567 [Référence INCADAT : HC/E/AU 232] ;
Director-General Department of Families, Youth and Community Care and Hobbs, 24 September 1999, Family Court of Australia (Brisbane) [Référence INCADAT : HC/E/AU 294] ;
Autriche
2 Ob 596/91, 05 February 1992, Oberster Gerichtshof [Référence INCADAT : HC/E/AT 375] ;
Canada
Thomson v. Thomson [1994] 3 SCR 551, 6 RFL (4th) 290 [Référence INCADAT : HC/E/CA 11] ;
La Cour suprême distingua néanmoins selon que le droit de veto avait été donné dans une décision provisoire ou définitive, suggérant que considérer un droit de veto accordé dans une décision définitive comme un droit de garde aurait d'importantes conséquences sur la mobilité du parent ayant la garde physique de l'enfant.
Thorne v. Dryden-Hall, (1997) 28 RFL (4th) 297 [Référence INCADAT : HC/E/CA 12] ;
Decision of 15 December 1998, [1999] R.J.Q. 248 [Référence INCADAT : HC/E/CA 334] ;
Royaume-Uni - Angleterre et Pays de Galles
C. v. C. (Minor: Abduction: Rights of Custody Abroad) [1989] 1 WLR 654, [1989] 2 All ER 465, [1989] 1 FLR 403, [1989] Fam Law 228 [Référence INCADAT : HC/E/UKe 34] ;
Re D. (A child) (Abduction: Foreign custody rights) [2006] UKHL 51, [Référence INCADAT : HC/E/UKe 880] ;
France
Ministère Public c. M.B. 79 Rev. crit. 1990, 529, note Y. Lequette [Référence INCADAT : HC/E/FR 62] ;
Allemagne
2 BvR 1126/97, Bundesverfassungsgericht, (Federal Constitutional Court), [Référence INCADAT : HC/E/DE 338] ;
10 UF 753/01, Oberlandesgericht Dresden, [Référence INCADAT : HC/E/DE 486] ;
Royaume-Uni - Écosse
Bordera v. Bordera 1995 SLT 1176 [Référence INCADAT : HC/E/UKs 183];
A.J. v. F.J. [2005] CSIH 36, 2005 1 SC 428 [Référence INCADAT : HC/E/UKs 803].
Afrique du Sud
Sonderup v. Tondelli 2001 (1) SA 1171 (CC), [Référence INCADAT : HC/E/ZA 309].
Suisse
5P.1/1999, Tribunal fédéral suisse, (Swiss Supreme Court), 29 March 1999, [Référence INCADAT : HC/E/CH 427].
États-Unis d'Amérique
Les cours d'appel fédérales des États-Unis étaient divisées entre 2000 et 2010 quant à l'interprétation à donner à la notion de garde.
Elles ont suivi majoritairement la position de la Cour d'appel du second ressort, laquelle a adopté une interprétation stricte. Voir :
Croll v. Croll, 229 F.3d 133 (2d Cir., 2000; cert. den. Oct. 9, 2001) [Référence INCADAT : HC/E/USf 313] ;
Gonzalez v. Gutierrez, 311 F.3d 942 (9th Cir 2002) [Référence INCADAT : HC/E/USf 493] ;
Fawcett v. McRoberts, 326 F.3d 491, 500 (4th Cir. 2003), cert. denied 157 L. Ed. 2d 732, 124 S. Ct. 805 (2003) [Référence INCADAT : HC/E/USf 494] ;
Abbott v. Abbott, 542 F.3d 1081 (5th Cir. 2008), [Référence INCADAT : HC/E/USf 989].
La Cour d'appel du 11ème ressort a néanmoins adopté l'approche majoritairement suivie à l'étranger.
Furnes v. Reeves 362 F.3d 702 (11th Cir. 2004) [Référence INCADAT : HC/E/USf 578].
La question a été tranchée, du moins lorsqu'il s'agit d'un parent demandeur qui a le droit de décider du lieu de résidence habituelle de son enfant ou bien lorsqu'un tribunal de l'État de résidence habituelle de l'enfant cherche à protéger sa propre compétence dans l'attente d'autres jugements, par la Court suprême des États-Unis d'Amérique qui a adopté l'approche suivie à l'étranger.
Abbott v. Abbott (US SC 2010), [Référence INCADAT : HC/E/USf 1029]
La Cour européenne des droits de l'homme a adopté l'approche majoritairement suivie à l'étranger, voir:
Neulinger & Shuruk v. Switzerland, No. 41615/07, 8 January 2009 [Référence INCADAT :HC/E/ 1001].
Décision confirmée par la Grande Chambre: Neulinger & Shuruk v. Switzerland, No 41615/07, 6 July 2010 [Référence INCADAT :HC/E/ 1323].
Droit de s'opposer à un déplacement
Quand un individu n'a pas de droit de veto sur le déplacement d'un enfant hors de son État de residence habituelle mais peut seulement s'y opposer et demander à un tribunal d'empêcher un tel déplacement, il a été considéré dans plusieurs juridictions que cela n'était pas suffisant pour constituer un droit de garde au sens de la Convention:
Canada
W.(V.) v. S.(D.), 134 DLR 4th 481 (1996), [Référence INCADAT :HC/E/CA 17];
Ireland
W.P.P. v. S.R.W. [2001] ILRM 371, [Référence INCADAT :HC/E/IE 271];
Royaume-Uni - Angleterre et Pays de Galles
Re V.-B. (Abduction: Custody Rights) [1999] 2 FLR 192, [Référence INCADAT :HC/E/UKe 261];
S. v. H. (Abduction: Access Rights) [1998] Fam 49 [Référence INCADAT :HC/E/UKe 36];
Royaume-Uni - Écosse
Pirrie v. Sawacki 1997 SLT 1160, [Référence INCADAT :HC/E/UKs 188].
Cette interprétation a également été retenue par la Cour de justice de l'Union européenne:
Case C-400/10 PPU J. McB. v. L.E., [Référence INCADAT :HC/E/ 1104].
La Cour de justice a jugé qu'une décision contraire serait incompatible avec les exigences de sécurité juridique et la nécessité de protéger les droits et libertés des autres personnes impliquées, notamment ceux du détenteur de la garde exclusive de l'enfant.
Voir les articles suivants :
P. Beaumont et P.McEleavy, The Hague Convention on International Child Abduction, Oxford, OUP, 1999, p. 75 et seq. ;
M. Bailey, « The Right of a Non-Custodial Parent to an Order for Return of a Child Under the Hague Convention », Canadian Journal of Family Law, 1996, p. 287 ;
C. Whitman, « Croll v. Croll: The Second Circuit Limits ‘Custody Rights' Under the Hague Convention on the Civil Aspects of International Child Abduction », Tulane Journal of International and Comparative Law, 2001 , p. 605.
On constate que la plupart des tribunaux considèrent que l'acquiescement se caractérise en premier lieu à partir de l'intention subjective du parent victime :
Australie
Commissioner, Western Australia Police v. Dormann, JP (1997) FLC 92-766 [Référence INCADAT : HC/E/AU @213@];
Barry Eldon Matthews (Commissioner, Western Australia Police Service) v. Ziba Sabaghian PT 1767 of 2001 [Référence INCADAT : HC/E/AU @345@];
Autriche
5Ob17/08y, Oberster Gerichtshof, (Austrian Supreme Court) 1/4/2008 [Référence INCADAT : HC/E/AT @981@].
Dans cette affaire la Cour suprême autrichienne, qui prenait position pour la première fois sur l'interprétation de la notion d'acquiescement, souligna que l'acquiescement à état de fait provisoire ne suffisait pas à faire jouer l'exception et que seul l'acquiescement à un changement durable de la résidence habituelle donnait lieu à une exception au retour au sens de l'article 13(1) a).
Belgique
N° de rôle: 02/7742/A, Tribunal de première instance de Bruxelles 6/3/2003, [Référence INCADAT : HC/E/BE @545@];
Canada
Ibrahim v. Girgis, 2008 ONCA 23, [Référence INCADAT : HC/E/CA 851];
Royaume-Uni - Angleterre et Pays de Galles
Re H. and Others (Minors) (Abduction: Acquiescence) [1998] AC 72 [Référence INCADAT : HC/E/UKe @46@];
En l'espèce la Chambre des Lords britannique décida que l'acquiescement ne pouvait se déduire de remarques passagères et de lettres écrites par un parent qui avait récemment subi le traumatisme de voir ses enfants lui être enlevés par l'autre parent.
Irlande
K. v. K., 6 May 1998, transcript, Supreme Court of Ireland [Référence INCADAT : HC/E/IE @285@];
Israël
Dagan v. Dagan 53 P.D (3) 254 [Référence INCADAT : HC/E/IL @807@] ;
Nouvelle-Zélande
P. v. P., 13 March 2002, Family Court at Greymouth (New Zealand), [Référence INCADAT : HC/E/NZ @533@] ;
Royaume-Uni - Écosse
M.M. v. A.M.R. or M. 2003 SCLR 71, [Référence INCADAT : HC/E/UKs @500@];
Afrique du Sud
Smith v. Smith 2001 (3) SA 845 [Référence INCADAT : HC/E/ZA @499@];
Suisse
5P.367/2005 /ast, Bundesgericht, II. Zivilabteilung (Tribunal Fédéral, 2ème Chambre Civile), [Référence INCADAT : HC/E/CH @841@].
De la même manière, on remarque une réticence des juges à constater un acquiescement lorsque le parent avait essayé d'abord de parvenir à un retour volontaire de l'enfant ou à une réconciliation. Voir :
Royaume-Uni - Angleterre et Pays de Galles
Re H. and Others (Minors) (Abduction: Acquiescence) [1998] AC 72 [Référence INCADAT : HC/E/UKe @46@];
P. v. P. (Abduction: Acquiescence) [1998] 2 FLR 835, [Référence INCADAT : HC/E/UKe @179@ ];
Irlande
R.K. v. J.K. (Child Abduction: Acquiescence) [2000] 2 IR 416, [Référence INCADAT : HC/E/IE @285@];
États-Unis d'Amérique
Wanninger v. Wanninger, 850 F. Supp. 78 (D. Mass. 1994), [Référence INCADAT : HC/E/USf @84@];
Dans l'affaire australienne Townsend & Director-General, Department of Families, Youth and Community (1999) 24 Fam LR 495, [Référence INCADAT : HC/E/AU @290@] des négociations d'une durée de 12 mois avaient été considérées comme établissant un acquiescement, mais la cour décida, dans le cadre de son pouvoir souverain d'appréciation, de ne pas ordonner le retour.