AFFAIRE

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Nom de l'affaire

Hansen v. Turkey, Application no. 36141/97, (2004) 39 E.H.R.R. 18

Référence INCADAT

HC/E/TR 539

Juridiction

Nom

Cour Européenne des Droits de l'Homme

Degré

Cour européenne des droits de l’homme (CourEDH)

États concernés

État requérant

Islande

État requis

Turquie

Décision

Date

23 September 2003

Statut

Définitif

Motifs

Questions ne relevant pas de la Convention

Décision

-

Article(s) de la Convention visé(s)

-

Article(s) de la Convention visé(s) par le dispositif

-

Autres dispositions
Convention européenne des droits de l'homme (CEDH)
Jurisprudence | Affaires invoquées

-

INCADAT commentaire

Relation avec d’autres instruments internationaux et régionaux et avec le droit interne

Convention européenne des Droits de l’Homme (CEDH)
Jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme (CourEDH)
Affaires d’enlèvement d’enfants ne relevant de la Convention de La Haye – droit interne
Problèmes de fond

RÉSUMÉ

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Faits

L'affaire concernait deux filles, nées en 1981 et 1982, de mère islandaise et de père turc.

Les parents se marièrent après la naissance des enfants et s'installèrent en Islande jusqu'à la fin de l'année 1989. A la suite de la séparation des parents, le père demeura en Islande. A l'été 1990, avec l'accord de la mère, le père emmena les enfants en vacances en Turquie. En aoûts le père informa la mère de ce qu'ils ne rentreraient pas.

Le 11 janvier 1991, le ministère islandais de la justice rendit une licence de séparation et donna provisoirement la garde des enfants à la mère. Le 25 octobre 1991, la mère entama une action devant le tribunal civil de Bakyrkoy (Asliye Hukuk Mahkemesi) à Istanbul tendant au divorce et demandant la garde des enfants. Lors d'une audience, le 12 mars 1992, les enfants se présentèrent devant la cour et indiquèrent leur souhait de rester avec leur père.

Le 10 avril 1992, le ministère de la justice islandais décida de confier la garde des enfants à la mère dans la mesure où les enfants avaient vécu avec leur mère depuis la séparation et où l'Islande avait toujours été leur patrie. Le 12 Novembre 1992, la juridiction turque prononça le divorce des parents et accorda la garde des enfants au père.

La mère interjeta appel. Le 23 février 1993, la cour de cassation turque cassa la décision antérieure au motif que les juges du fond n'avaient pas recherché si la mère n'avait pas obtenu la nationalité turque et le père la nationalité islandaise par mariage, ni vérifié que le mariage des parents avait été reconnu et certifié en Turquie.

Le 7 octobre 1993, la juridiction de renvoi décida de ne pas suivre la décision de la Cour de cassation.

Le 30 mars 1994, les chambres civiles réunies de la cour de cassation (Yargtay Hukuk Dairesi Genel Kurulu) cassèrent la décision du 7 octobre 1993, estimant que la nationalité des parents et la question de savoir si leur mariage était reconnu étaient les deux points clefs de l'affaire.

L'affaire fut renvoyée au premier tribunal civil. Lors d'une audience le 20 avril 1995, la mère rétracta sa demande de divorce et demanda simplement la garde des enfants. Le même jour, le juge décida qu'il n'avait pas compétence pour connaître de la garde des enfants dans la mesure où le Ministère des affaires étrangères avait confirmé que le père avait la bi-nationalité islandaise et turque mais que la mère n'avait pas acquis la nationalité turque par mariage.

Le 28 novembre 1995, la cour de cassation cassa la décision du 20 avril. L'affaire fut de nouveau renvoyée aux premiers juges.

Le 13 juin 1996, lors d'une audition, les enfants indiquèrent qu'elles souhaitaient rester avec le père. Eu égard au témoignage des enfants et à d'autres éléments de preuve, le tribunal accorda la garde au père et donna à la mère un droit de visite de 60 jours chaque année en juillet et août.

Le 18 novembre 1996, la cour de cassation confirma cette décision. Le 31 mars 1997, la cour de cassation rejeta le recours en rectification du jugement introduit par la mère.

La mère introduisit une procédure civile à l'encontre du père, alléguant qu'il avait abusé de son autorité de parent-gardien (velayetin nezi davas). Le 24 septembre 1997, le tribunal pénal de première instance de Bakyrkoy acquitta le père. Il releva que les enfants avaient à plusieurs reprises exprimé leur réticence à l'idée de voir la mère et allaient chez des amis immédiatement avant les périodes de visite afin de ne pas voir la mère. Elles n'étaient pas influencées par le père mais ne souhaitaient sincèrement pas voir leur mère. Le tribunal ne disposait d'aucune preuve sur la base de laquelle il pouvait condamner le père.

Le 5 mai 1998, les enfants furent entendus par le juge civil de Bakyrkoy et indiquèrent qu'elles ne souhaitaient pas vivre avec la mère.

Le 14 avril 1997, la mère avait saisi la cour Européenne des Droits de l'Homme, indiquant que les autorités turques avaient failli à leur obligation de faire exécuter le droit de visite de la mère sur les enfants, obligation positive résultant de l'article 8 de la CEDH. Elle ajoutait que la mère n'avait pas été mise en mesure de voir ses enfants en raison de discriminations dont elle était victime, discriminations fondées sur sa religion catholique et sa nationalité islandaise.

Le 19 juin 2001, la cour déclara la demande de la mère recevable.

Dispositif

La cour décida que la Turquie avait violé l'article 8 CEDH en refusant de prendre des mesures propres à faire exécuter le droit de visite de la mère sur ses enfants. La cour alloua des dommages-intérêts à la mère sur le fondement de l'article 41.

Motifs

Questions ne relevant pas de la Convention

La mère faisait valoir que les autorités turques avaient failli à leur obligation de faire exécuter son droit de visite en dépit de nombreuses tentatives qu'elle avait fait de les voir entre 1992 et 1998. En 6 ans, elle était allée en Turquie plus de 100 fois en vue de voir ses enfants. Ses tentatives avaient été vaines car son ancien mari avait systématiquement refusé d'observer les dispositions qui avaient été prise en vue de l'exercice du droit de visite. Elle faisait valoir que les autorités turques avaient refusé de prendre les mesures nécessaires à la localisation de ses filles que le père avait systématiquement cachées avant chaque visite par les services d'exécution. La mère indiquait que 18 procédures pénales avaient été intentées à l'encontre du père au chef de non-présentation d'enfant. Toutefois, à chaque reprise, le père s'en était bien sorti, n'ayant à payer que de faibles amendes et échappant à toute condamnation plus sévère. La cour indiqua qu'elle avait à plusieurs reprise constaté que l'article 8 inclut le droit pour les parents de voir prises les mesures nécessaires à l'exercice de leur droit de visite et l'obligation pour les Etats parties de prendre de telles mesures. Toutefois, l'obligation des autorités de prendre des mesures de nature à faciliter le contact n'était pas absolue dans la mesure où la mise en relation d'un parent avec des enfants qui ont vécu avec l'autre parent depuis un certain temps peut ne pas être possible de manière immédiate et peut impliquer que certaines mesures préparatoires soient prises. La nature et le domaine de ces mesures préparatoires varient d'un cas à l'autre, mais le compréhension et la coopération mutuelle constituent toujours un élément important. Alors que les autorités nationales doivent faire leur possible pour permettre une telle coopération, toute obligation d'imposer des mesures de coercition dans ce domaine doit être limitée car il doit être tenu compte de l'intérêt comme les droits et libertés de toutes les parties impliquées et en particulier de l'intérêt supérieur des enfants et de leurs droits sur le fondement de l'article 8 de la Convention. Lorsque le contact avec l'un des parents paraît menacer ces droits ou interférer avec eux, il appartient aux autorités nationales de trouver un équilibre équitable entre ces droits concurrents. La cour observa que les autorités n'avaient pris aucune mesure permettant à la mère de jouir d'un droit de visite alors que des procédures judiciaires longues étaient pendantes. En particulier, elles n'avaient pas consulté pour avis les services sociaux ni recherché l'assistance de psychologues ou de pedopsychiatres afin de faciliter les contacts de la mère avec ses filles et de créer une atmosphère de coopération entre la mère et le père. Bien qu'à certaines occasions les enfants aient fermement refusé de rencontrer leur mère, la cour considéra que les enfants n'avaient jamais été mises en mesure de développer une relation avec la mère dans un environnement calme qui leur aurait permis d'exprimer leurs sentiments pour elle en dehors de toute pression étrangère. La cour estima qu'alors que des mesures obligeant les enfants à rencontrer l'un de leurs parents ne sont pas désirables dans un domaine aussi sensible, une telle action ne saurait être exclue en cas de refus d'exécution ou de comportement illégal du parent avec lequel les enfants vivent. La cour considéra que les amendes imposées au père n'étaient ni efficaces ni adéquates et en conclut que les autorités turque n'avaient pas pris de mesures efficaces et adéquates en vue de faire exécuter le droit de visite de la mère sur ses enfants et avaient donc méconnu le droit au respect de la vie familiale de celle-ci tel que garanti par l'article 8. La cour décida toutefois qu'il n'était pas établi que la mère eût été victime de discrimination fondées sur sa religion ou sa nationalité. En application de l'article 41, la cour accorda à la mère des dommages-intérêts d'un montant de 65000 €. Le père fut également condamné aux dépens.

Commentaire INCADAT

Jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme (CourEDH)

Problèmes de fond

Lorsqu'un parent demande le retour d'un enfant dans une situation ne relevant pas de la Convention de La Haye ni d'un autre instrument international ou régional, le tribunal saisi doit mettre en balance l'intérêt de l'enfant et le principe international selon lequel les États doivent prendre des mesures en vue de lutter contre les déplacements et non-retours illicites d'enfants à l'étranger (art. 11(1) de la Convention des Nations Unies sur les Droits de l'enfant de 1990).

Canada
Shortridge-Tsuchiya v. Tsuchiya, 2009 BCSC 541, [2009] B.C.W.L.D. 4138, [Référence INCADAT : HC/E/CA 1109].

Royaume-Uni : Angleterre et Pays de Galles
Les juges d'appel ont développé des approches discordantes sur cette question.

Dans les affaires suivantes, la cour d'appel a privilégié une vision internationaliste analogue à celle de la Convention de La Haye :

Re E. (Abduction: Non-Convention Country) [1999] 2 FLR 642 [Référence INCADAT : HC/E/UKe 589] ;

Re J. (Child Returned Abroad: Human Rights) - [2004] 2 FLR 85 [2004] EWCA Civ. 417 [Référence INCADAT : HC/E/UKe 586].

Toutefois dans l'affaire plus ancienne de Re J.A. (Child Abduction: Non-Convention Country) [1998] 1 FLR 231 [Référence INCADAT : HC/E/UKe 588] le retour n'avait pas été prononcé au motif qu'il était douteux que l'État de la résidence habituelle puisse agir dans l'intérêt supérieur de l'enfant. En l'espèce la mère, auteur de l'enlèvement et ressortissante britannique, n'aurait pas été autorisée à quitter l'État de la résidence habituelle sans le consentement du père.

Dans Re J. (A child) (Return to foreign jurisdiction: convention rights), [2005] UKHL 40, [2006] 1 AC 80, [Référence INCADAT : HC/E/UKe 801], la Chambre des Lords approuva expressément l'approche privilégiée dans Re J.A. (Child Abduction: Non-Convention Country) [1998] 1 FLR 231 [Référence INCADAT : HC/E/UKe 588].

La Chambre des Lords indiqua que le principe sous-tendant la Convention de La Haye impliquait nécessairement que dans certains cas l'État de refuge devait prendre des mesures qui n'étaient pas dans l'intérêt supérieur de l'enfant en cause.  Les États contractants avaient accepté cet état de fait parce que la Convention permettait d'atteindre l'intérêt supérieur des enfants en général. Néanmoins, la Chambre des Lords rappela que ni la loi ni les précédents judiciaires ne prévoyaient l'extension des principes de la Convention de La Haye aux États non contractants. Dans les affaires ne relevant pas de conventions internationales le juge devait agir dans l'intérêt supérieur de l'enfant en cause. Quoiqu'il n'y ait pas de présomption forte en faveur du retour il convient d'étudier au cas par cas si le retour immédiat de l'enfant n'est pas dans son intérêt supérieur.

Il convient de souligner que dans l'affaire Re F. (Children) (Abduction: Removal Outside Jurisdiction) [2008] EWCA Civ. 842, [Référence INCADAT : HC/E/UKe 982] un juge revint sur sa décision d'ordonner le retour notamment en raison de l'affaire Re M. La Cour d'appel ne discuta toutefois pas la décision de la Chambre des Lords, insistant sur des éléments nouveaux qui montraient qu'il était inévitable que la mère soit renvoyée dans son pays vu son statut d'immigration.

Dans E.M. (Lebanon) v. Secretary of State for the Home Department [2008] UKHL 64, [2008] 3 W.L.R. 931, [Référence INCADAT : HC/E/UKe 994], un enfant avait été enlevé de son pays de résidence habituelle, qui n'était pas partie à aucune convention relative à l'enlèvement. Il s'agissait en l'espèce d'une affaire d'immigration. La demande d'asile de la mère avait été refusée mais son argument selon lequel le retour aurait violé son droit et le droit de son enfant au respect de la vie familiale selon l'article 8 de la Convention européenne des Droits de l'Homme (CEDH) avait finalement prévalu. Toutefois, il importe de noter qu'en l'espèce la vie familiale de l'enfant se résumait à sa vie avec sa mère puisque que le père n'avait eu aucun contact avec lui depuis sa naissance. Par une majorité de 4 contre 1, les juges estimèrent que le droit de la famille libanais, quoique de nature discriminatoire puisqu'il imposait le transfert automatique de la responsabilité de l'enfant de la mère au père le jour de son 7ème anniversaire, ne violait pas en principe la CEDH.