AFFAIRE

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Nom de l'affaire

Doris Povse v. Mauro Alpago (C-211/10 PPU)

Référence INCADAT

HC/E/AT 1328

Juridiction

Degré

Cour de justice de l'Union européenne (CJUE)

États concernés

État requérant

Italie

État requis

Autriche

Décision

INCADAT commentaire

Objectifs et domaine d’application de la Convention

Questions de compétence dans le cadre de la Convention de La Haye
Questions de compétence dans le cadre de la Convention de La Haye

Relation avec d’autres instruments internationaux et régionaux et avec le droit interne

Règlement Bruxelles II bis (Règlement (CE) No 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003)
Règlement Bruxelles II bis

RÉSUMÉ

Résumé disponible en EN | FR

Faits

La demande concernait un enfant né en décembre 2006. Les parents n'étaient pas mariés et ont vécu ensemble en Italie jusque janvier 2008. La loi italienne leur conférait la garde partagée de l'enfant. Lorsque les parents se sont séparés, la mère a quitté le domicile familial et emmené l'enfant. Bien que le père ait obtenu une ordonnance empêchant la mère d'emmener l'enfant hors de la juridiction, la mère est partie en Autriche quelque temps avec ce dernier en février 2008. La procédure s'est donc déroulée en Italie et en Autriche.

Le 16 avril, le père a engagé une procédure de retour devant le Bezirksgericht Leoben (Tribunal de district de Leoben, Autriche).

Le 23 mai, le Tribunale per i Minorenni di Venezia (Tribunal de la jeunesse de Venise, Italie) a levé l'interdiction de déplacement de l'enfant en dehors de la juridiction, accordant la garde provisoire aux deux parents et précisant que l'enfant devrait rester avec la mère en Autriche jusqu'à ce qu'une décision définitive soit rendue. Le père devait maintenir des contacts avec son enfant sous la supervision d'un expert chargé de mener une évaluation. L'expert a signalé que la mère n'autorisait pas suffisamment de contacts pour qu'il puisse rédiger un rapport rendant effectivement compte de la situation.

Le 3 juillet, le Bezirksgericht Leoben a rejeté la demande de retour introduite par le père, une décision renversée par le Landesgericht Leoben (Tribunal régional de Leoben), au motif que le père n'avait pas été entendu (article 11(5) du Règlement Bruxelles II bis (Règlement (CE) No 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003)).

Le 21 novembre, le Bezirksgericht Leoben a de nouveau rejeté la demande de retour, se fondant sur la décision rendue le 23 mai par le Tribunale per i Minorenni di Venezia, qui permettait à l'enfant de rester avec sa mère à titre provisoire. Le 7 janvier 2009, cette décision a été confirmée par le Landesgericht Leoben, qui a estimé qu'il existait un risque grave que le retour de l'enfant ne l'expose à un danger psychique.

La mère a alors cherché à engager une action au fond sur la garde devant le Bezirksgericht Judenburg (Tribunal de district de Judenburg). Le 26 mai, se fondant sur l'article 15(5) du Règlement Bruxelles II bis, celui-ci a demandé au Tribunale per i Minorenni di Venezia de transférer sa compétence. Auparavant, le 9 avril, le père avait demandé au Tribunale per i Minorenni di Venezia d'émettre une ordonnance de retour sur la base de l'article 11(8) du Règlement Bruxelles II bis.

Le 10 juillet, le Tribunale per i Minorenni di Venezia a estimé qu'il conservait sa compétence et ne la transférait pas en vertu de l'article 10 du Règlement Bruxelles II bis. Il a également noté que la mère n'avait pas respecté le calendrier des visites et qu'aucun rapport d'expert n'avait donc pu être dressé. La Cour a également ordonné le retour de l'enfant et a certifié cette décision conformément à l'article 42 du Règlement Bruxelles II bis. Le 25 août, le Bezirksgericht Judenburg a délivré une ordonnance ex parte accordant à la mère la garde provisoire. Le père n'a pas été informé de ses droits procéduraux et l'ordonnance est devenue définitive le 23 septembre.

Le 22 septembre, le père a cherché à faire exécuter l'ordonnance du 10 juillet devant le Bezirksgericht Leoben, mais cette demande a été rejetée au motif qu'il existait un risque grave que l'enfant soit exposé à un danger. Le père a obtenu gain de cause en appel de cette décision devant le Landesgericht Leoben.

La mère a alors saisi l'Oberster Gerichtshof (Cour suprême autrichienne), qui a à son tour saisi la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) d'un renvoi préjudiciel sur plusieurs questions au moyen de la procédure préjudicielle d'urgence (PPU). Ce renvoi a été accueilli au motif qu'un retard supplémentaire dans l'exécution de l'ordonnance de retour aggraverait la détérioration des relations entre le père et l'enfant et le risque auquel serait exposé l'enfant à son retour.

Les questions portées à la connaissance de la CJUE étaient :

1. Un transfert de compétence est-il possible en vertu de l'article 10 lorsque le parent qui a emmené l'enfant a obtenu la garde provisoire dans l'attente d'une décision définitive ?

2. Une ordonnance de retour fondée sur une ordonnance de garde définitive n'est-elle régie que par l'article 11(8) ?

3. Dans l'affirmative pour les deux questions précédentes, est-il possible que le défaut de compétence du tribunal d'origine ou l'inapplicabilité de l'article 11(8) soient invoqués dans l'État d'exécution concernant l'exécution d'une ordonnance certifiée en vertu de l'article 42(2), ou le défendeur doit-il porter ces contestations dans l'État d'origine ?

4. Si la réponse aux trois premières questions est non : si une décision accordant la garde provisoire au parent qui a emmené l'enfant est rendue dans l'État de refuge et y est exécutoire, cette décision peut-elle, au sens de l'article 47(2), l'emporter sur l'exécution d'une ordonnance de retour délivrée antérieurement en vertu de l'article 11(8) dans l'État d'origine, tout en n'empêchant pas l'exécution d'une ordonnance de retour délivrée dans l'État de refuge en vertu de la  Convention de La Haye de 1980 sur l'enlèvement d'enfants?

5. Si la réponse à la quatrième question est également non, l'exécution d'une ordonnance certifiée en vertu de l'article 42(2) peut-elle être refusée si un changement subséquent dans les circonstances implique que l'exécution porte gravement atteinte à l'intérêt supérieur de l'enfant ? Ou bien la partie adverse doit-elle invoquer ce changement dans l'État d'origine pour permettre la suspension de l'exécution dans l'autre État, dans l'attente d'un jugement dans l'État d'origine ?

Dispositif

Décision préjudicielle rendue pour les questions 1, 2, 4 et 5 ; voir ci-après.

Motifs

Objectifs de la Convention - Préambule, art. 1 et 2


Le Règlement Bruxelles II bis (Règlement (CE) No 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003) vise à décourager l'enlèvement d'enfants entre les États membres et à assurer le retour immédiat de l'enfant en cas d'enlèvement.

Questions procédurales


Article 10 du Règlement Bruxelles II bis : Compétence
En principe, un enlèvement ne devrait pas conduire à un transfert de compétence entre les États membres concernés et l'interprétation de l'article 10 du Règlement Bruxelles II bis devrait être restrictive. La Cour a estimé qu'« une décision de garde n'impliquant pas le retour de l'enfant » au sens de l'article 10(4) du Règlement Bruxelles II bis constitue une ordonnance définitive, adoptée sur la base de l'examen des faits dans leur ensemble.

Elle a toutefois noté que le caractère définitif de l'ordonnance serait conservé, même si un réexamen de l'affaire était prévu. La Cour a estimé que si une décision provisoire entraînait un défaut de compétence, alors cela dissuaderait les tribunaux de rendre de telles décisions, même si une ordonnance provisoire était dans l'intérêt supérieur de l'enfant. La Cour a estimé que les réserves énoncées dans l'ordonnance du Tribunale per i Minorenni di Venezia prouvaient qu'il ne s'agissait pas d'une décision définitive et n'entraînaient pas de transfert de compétence au sens de l'article 10(4).
 
Article 11(8) du Règlement Bruxelles II bis : Retour de l'enfant
La Cour a jugé qu'une ordonnance de retour entrait dans le champ d'application de l'article 11(8) même si elle ne suivait pas une décision définitive sur la garde. Elle a estimé que cette interprétation se dégageait clairement de la rédaction de la disposition qui se référait à « toute décision ultérieure ordonnant le retour de l'enfant ». La Cour a reconnu que le précédent paragraphe (article 11(7) du Règlement Bruxelles II bis) se référait aux procédures engagées en vue de statuer sur la garde, mais a estimé qu'il s'agissait là d'une finalité et non d'une condition préalable à la question du retour. En outre, elle a ajouté que le retour faciliterait la poursuite de l'objectif final, à savoir le règlement de la question de la garde.

La Cour a également noté qu'il serait difficile de concilier l'objectif de rapidité inhérent aux articles 11(8), 40 et 42 du Règlement Bruxelles II bis avec l'obligation de rendre une décision définitive en matière de garde. La Cour a supposé qu'une telle contrainte pourrait obliger les autorités compétentes à rendre une décision sans être en possession des informations nécessaires ou sans disposer de suffisamment de temps de réflexion. Le droit de l'enfant d'entretenir de véritables contacts avec ses deux parents a également plaidé en faveur d'un retour avant que l'audience finale sur la garde n'ait lieu.
 
Exécution
La Cour a estimé qu'une ordonnance provisoire de garde établie dans l'État de refuge ne pouvait suspendre l'exécution d'une ordonnance ultérieure établie en vertu de l'article 11(8), car cela serait contraire au sens du Règlement Bruxelles II bis.

La Cour a réexaminé le statut d'un certificat délivré en vertu de l'article 42 du Règlement Bruxelles II bis et les possibilités de remettre en cause ce certificat ou une ordonnance de retour en vertu de l'article 11(8). Elle a dans ce cadre noté que l'État membre d'origine était compétent et que si une décision devait être inconciliable, ce serait celle de l'autre juridiction.

La Cour a par ailleurs accepté qu'un changement de circonstances puisse nécessiter une modification de l'ordonnance de retour mais a noté que c'était une question au fond et qu'en tant que telle, cette question devait être tranchée par la juridiction compétente, à savoir celle de l'État membre d'origine, qui pourrait évaluer l'intérêt supérieur de l'enfant et décider d'une éventuelle suspension de l'ordonnance de retour.

La Cour a précisé que le principe d'assimilation énoncé à l'article 47(2) du Règlement Bruxelles II bis, selon lequel une décision devrait être exécutée dans l'État membre d'exécution « dans les mêmes conditions » que si elle avait été rendue dans cet État membre, devait être interprété strictement. Seules les questions procédurales liées au retour pouvaient être interprétées, mais ne pouvaient fonder une objection à la décision du tribunal compétent.

Commentaire INCADAT

Questions de compétence dans le cadre de la Convention de La Haye

Questions de compétence dans le cadre de la Convention de La Haye (art. 16)

Le but de la Convention étant d'assurer le retour immédiat d'enfants enlevés dans leur État de résidence habituelle pour permettre l'ouverture d'une procédure au fond, il est essentiel qu'une procédure d'attribution de la garde ne soit pas commencée dans l'État de refuge. À cette fin, l'article 16 dispose que :

« Après avoir été informées du déplacement illicite d'un enfant ou de son non-retour dans le cadre de l'article 3, les autorités judiciaires ou administratives de l'Etat contractant où l'enfant a été déplacé ou retenu ne pourront statuer sur le fond du droit de garde jusqu'à ce qu'il soit établi que les conditions de la présente Convention pour un retour de l'enfant ne sont pas réunies, ou jusqu'à ce qu'une période raisonnable ne se soit écoulée sans qu'une demande en application de la Convention n'ait été faite. »

Les États contractants qui sont également parties à la Convention de La Haye de 1996 bénéficient d'une plus grande protection en vertu de l'article 7 de cet instrument.

Les États contractants membres de l'Union européenne auxquels s'applique le règlement (CE) n°2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 (règlement Bruxelles II bis) bénéficient d'une protection supplémentaire en vertu de l'article 10 de cet instrument.

L'importance de l'article 16 a été notée par la Cour européenne des droits de l'Homme :

Iosub Caras v. Romania, Requête n° 7198/04, (2008) 47 E.H.R.R. 35, [Référence INCADAT : HC/E/ 867]
 
Carlson v. Switzerland, Requête n° 49492/06, 8 novembre 2008, [Référence INCADAT : HC/E/ 999

Dans quelles circonstances l'article 16 doit-il être appliqué ?

La Haute Cour (High Court) d'Angleterre et du Pays de Galles a estimé qu'il revient aux tribunaux et aux avocats de prendre l'initiative lorsque des éléments indiquent qu'un déplacement ou non-retour illicite a eu lieu.

R. v. R. (Residence Order: Child Abduction) [1995] Fam 209, [Référence INCADAT : HC/E/UKe 120].
 
Lorsqu'un tribunal prend connaissance, expressément ou par présomption, d'un déplacement ou non-retour illicite, il est informé de ce déplacement ou non-retour illicite au sens de l'article 16. Il incombe en outre au tribunal d'envisager les mesures à prendre pour s'assurer que le parent se trouvant dans cet État est informé de ses droits dans le cadre de la Convention.

Re H. (Abduction: Habitual Residence: Consent) [2000] 2 FLR 294, [Référence INCADAT : HC/E/UKe 478

Les avocats, même ceux des parents ravisseurs, ont le devoir d'attirer l'attention du tribunal sur la Convention lorsque cela est pertinent.

Portée et durée de la protection conférée par l'article 16 ?

L'article 16 n'empêche pas la prise de mesures provisoires et de protection :

Belgique
Cour de cassation 30/10/2008, CG c BS, n° de rôle: C.06.0619.F, [Référence INCADAT : HC/E/BE 750]. Dans ce cas d'espèce les mesures provisoires devinrent toutefois définitives et le retour ne fut jamais appliqué en raison d'un changement des circonstances.

Une demande de retour doit être déposée dans un laps de temps raisonnable :

France
Cass. Civ. 1ère, 9 juillet 2008 (pourvois n° K 06-22090 et M 06-22091), 9.7.2008, [Référence INCADAT : HC/E/FR 749] ;

Royaume-Uni - Angleterre et Pays de Galles
R. v. R. (Residence Order: Child Abduction) [1995] Fam 209, [Référence INCADAT : HC/E/UKe 120].

Une ordonnance de retour devenue définitive mais n'ayant pas encore été exécutée entre dans le champ de l'article 16 :

Allemagne
Bundesgerichtshof, XII. Décision du Zivilsenat du 16 août 2000 - XII ZB 210/99, BGHZ 145, 97 16 August 2000 [Référence INCADAT : HC/E/DE 467].

L'article 16 ne s'appliquera plus lorsqu'une ordonnance de retour ne peut être exécutée :

Suisse
5P.477/2000/ZBE/bnm, [Référence INCADAT : HC/E/CH 785].

Règlement Bruxelles II bis

76;2201/2203 (BRUXELLES II BIS)

L'application de la Convention de La Haye de 1980 dans les États membres de l'Union européenne (excepté le Danemark) a fait l'objet d'un amendement à la suite de l'entrée en vigueur du Règlement (CE) n°2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) n°1347/2000. Voir :

Affaire C-195/08 PPU Rinau v. Rinau, [2008] ECR I 5271 [2008] 2 FLR 1495 [INCADAT cite: HC/E/ 987];

Affaire C 403/09 PPU Detiček v. Sgueglia, [INCADAT cite: HC/E/ 1327].

La Convention de La Haye reste l'instrument majeur de lutte contre les enlèvements d'enfants, mais son application est précisée et complétée.

L'article 11(2) du Règlement de Bruxelles II bis exige que dans le cadre de l'application des articles 12 et 13 de la Convention de La Haye, l'occasion doit être donnée à l'enfant d'être entendu pendant la procédure sauf lorsque cela s'avère inapproprié eu égard à son jeune âge ou son immaturité.

Cette obligation a donné lieu à un changement dans la jurisprudence anglaise :

Re D. (A Child) (Abduction: Foreign Custody Rights) [2006] UKHL 51 [Référence INCADAT : HC/E/UKe 880].

Dans cette espèce le juge Hale indiqua que désormais les enfants seraient plus fréquemment auditionnés dans le cadre de l'application de la Convention de La Haye.

L'article 11(4) du Règlement de Bruxelles II bis prévoit que : « Une juridiction ne peut pas refuser le retour de l'enfant en vertu de l'article 13, point b), de la convention de La Haye de 1980 s'il est établi que des dispositions adéquates ont été prises pour assurer la protection de l'enfant après son retour. »

Décisions ayant tiré les conséquences de l'article 11(4) du Règlement de Bruxelles II bis pour ordonner le retour de l'enfant :

France
CA Bordeaux, 19 janvier 2007, No 06/002739 [Référence INCADAT : HC/E/FR 947];

CA Paris 15 février 2007 [Référence INCADAT : HC/E/FR 979].

Il convient de noter que le Règlement introduit un nouveau mécanisme applicable lorsqu'une ordonnance de non-retour est rendue sur la base de l'article 13. Les autorités de l'État de la résidence habituelle de l'enfant ont la possibilité de rendre une décision contraignante sur la question de savoir si l'enfant doit retourner dans cet État nonobstant une ordonnance de non-retour. Si une telle décision de l'article 11(7) du Règlement est en effet rendue et certifiée dans l'État de la résidence habituelle, elle deviendra automatiquement exécutoire dans l'État de refuge ainsi que dans tous les États Membres.

Décision de retour de l'Article 11(7) du Règlement de Bruxelles II bis rendue :

Re A. (Custody Decision after Maltese Non-return Order: Brussels II Revised) [2006] EWHC 3397 (Fam.), [Référence INCADAT : HC/E/UKe 883].

Décision de retour de l'Article 11(7) du Règlement de Bruxelles II bis refusée :

Re A. H.A. v. M.B. (Brussels II Revised: Article 11(7) Application) [2007] EWHC 2016 (Fam), [2008] 1 FLR 289 [Référence INCADAT : HC/E/UKe 930].

Voir le commentaire de :

P. McEleavy, « The New Child Abduction Regime in the European Community: Symbiotic Relationship or Forced Partnership? », Journal of Private International Law, 2005, p. 5 à 34.