AFFAIRE

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Nom de l'affaire

Jasna Deti?ek v. Maurizio Sgueglia (C-403/09 PPU)

Référence INCADAT

HC/E/SI 1327

Juridiction

Degré

Cour de justice de l'Union européenne (CJUE)

États concernés

État requérant

Italie

État requis

Slovénie

Décision

Date

23 December 2009

Statut

-

Motifs

Questions procédurales

Décision

-

Article(s) de la Convention visé(s)

-

Article(s) de la Convention visé(s) par le dispositif

-

Autres dispositions
Article 20 du Règlement Bruxelles II bis (Règlement (CE) No 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003); Article 24(3) de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne
Jurisprudence | Affaires invoquées

-

INCADAT commentaire

Objectifs et domaine d’application de la Convention

Questions de compétence dans le cadre de la Convention de La Haye
Questions de compétence dans le cadre de la Convention de La Haye

Relation avec d’autres instruments internationaux et régionaux et avec le droit interne

Règlement Bruxelles II bis (Règlement (CE) No 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003)
Règlement Bruxelles II bis

RÉSUMÉ

Résumé disponible en EN | FR

Faits

L'affaire concernait un enfant né en septembre 1997 d'une mère slovène et d'un père italien ; le couple résidait depuis longtemps en Italie. Le 25 juillet 2007, lors de la procédure de divorce en Italie, la garde provisoire a été accordée au père, mais le placement de l'enfant a été ordonné. Le même jour, la mère a emmené l'enfant en Slovénie. Le 22 novembre 2007, l'ordonnance italienne a été déclarée exécutoire en Slovénie, ce qui a été confirmé par la Cour suprême (Slovénie) le 2 octobre 2008. La procédure d'exécution visant à assurer le retour sans danger de l'enfant a donc été enclenchée.

Malgré cette procédure, la mère a demandé en Slovénie une mesure provisoire et conservatoire lui octroyant la garde de l'enfant sur la base de l'article 20 du Règlement Bruxelles II bis (Règlement (CE) No 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003) le 28 novembre 2008. Le 9 décembre, l'ordonnance demandée a été délivrée aux motifs que l'enfant s'était intégrée à son nouveau milieu, qu'elle souhaitait rester avec sa mère et qu'un retour l'exposerait à un risque. La procédure d'exécution a été suspendue le 2 février 2009.

Le père a remis en cause le fondement de la mesure conservatoire accordée, mais sa demande a été rejetée. Il a alors interjeté appel devant la Cour d'appel de Maribor (Slovénie), qui a sursis à statuer et a introduit une demande devant la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) en vertu de la procédure préjudicielle d'urgence (PPU) afin de déterminer si l'article 20 du Règlement Bruxelles II bis devait être interprété comme permettant à la cour d'un État membre de prendre une mesure provisoire en matière d'autorité parentale octroyant la garde d'un enfant qui se trouve sur son territoire à l'un des parents, alors que la cour d'un autre État membre, ayant compétence, a déjà rendu une décision accordant la garde provisoire à l'autre parent, et que cette décision a été déclarée exécutoire sur le territoire où se trouve l'enfant.

Dispositif

Décision préjudicielle rendue.

Motifs

Questions procédurales


Article 20 : Mesures provisoires et conservatoires :
La CJUE a rappelé les conditions d'application de l'article 20 du Règlement Bruxelles II bis (Règlement (CE) No 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003) : urgence ; rapport aux personnes ou aux biens de l'État membre saisi ; nature provisoire. Ici la Cour a noté que le concept d'urgence se rapportait à la fois à la situation de l'enfant et à l'impossibilité pratique de porter la demande d'autorité parentale devant la cour compétente pour connaître du fond.

Les circonstances mentionnées par la Cour slovène n'ont pas suffi à conférer à l'affaire un caractère urgent au sens de l'article 20. Si un changement survenu dans les circonstances résultant de l'intégration de l'enfant dans un nouveau milieu suffisait à justifier l'application de l'article 20(1), tout retard dans la procédure d'exécution dans l'État membre requis contribuerait à créer des circonstances permettant à une cour de cet État de bloquer l'exécution de la décision déclarée exécutoire.

Une telle interprétation porterait atteinte au principe de reconnaissance mutuelle. En outre, étant donné que les circonstances de la présente affaire étaient le résultat d'un enlèvement, cette interprétation irait à l'encontre de l'objectif du Règlement, qui est de décourager les déplacements et non-retours illicites.

Se référant à l'élément géographique de l'article 20, la Cour a noté que le père privé de ses enfants était également concerné par la mesure provisoire et n'était pas présent en Slovénie. La Cour a finalement attiré l'attention sur l'article 24(3) de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, relatif au droit des enfants à des contacts avec leurs deux parents, et a estimé que l'article 20 ne pouvait être interprété d'une façon qui bafoue ce droit.

Commentaire INCADAT

Questions de compétence dans le cadre de la Convention de La Haye

Questions de compétence dans le cadre de la Convention de La Haye (art. 16)

Le but de la Convention étant d'assurer le retour immédiat d'enfants enlevés dans leur État de résidence habituelle pour permettre l'ouverture d'une procédure au fond, il est essentiel qu'une procédure d'attribution de la garde ne soit pas commencée dans l'État de refuge. À cette fin, l'article 16 dispose que :

« Après avoir été informées du déplacement illicite d'un enfant ou de son non-retour dans le cadre de l'article 3, les autorités judiciaires ou administratives de l'Etat contractant où l'enfant a été déplacé ou retenu ne pourront statuer sur le fond du droit de garde jusqu'à ce qu'il soit établi que les conditions de la présente Convention pour un retour de l'enfant ne sont pas réunies, ou jusqu'à ce qu'une période raisonnable ne se soit écoulée sans qu'une demande en application de la Convention n'ait été faite. »

Les États contractants qui sont également parties à la Convention de La Haye de 1996 bénéficient d'une plus grande protection en vertu de l'article 7 de cet instrument.

Les États contractants membres de l'Union européenne auxquels s'applique le règlement (CE) n°2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 (règlement Bruxelles II bis) bénéficient d'une protection supplémentaire en vertu de l'article 10 de cet instrument.

L'importance de l'article 16 a été notée par la Cour européenne des droits de l'Homme :

Iosub Caras v. Romania, Requête n° 7198/04, (2008) 47 E.H.R.R. 35, [Référence INCADAT : HC/E/ 867]
 
Carlson v. Switzerland, Requête n° 49492/06, 8 novembre 2008, [Référence INCADAT : HC/E/ 999

Dans quelles circonstances l'article 16 doit-il être appliqué ?

La Haute Cour (High Court) d'Angleterre et du Pays de Galles a estimé qu'il revient aux tribunaux et aux avocats de prendre l'initiative lorsque des éléments indiquent qu'un déplacement ou non-retour illicite a eu lieu.

R. v. R. (Residence Order: Child Abduction) [1995] Fam 209, [Référence INCADAT : HC/E/UKe 120].
 
Lorsqu'un tribunal prend connaissance, expressément ou par présomption, d'un déplacement ou non-retour illicite, il est informé de ce déplacement ou non-retour illicite au sens de l'article 16. Il incombe en outre au tribunal d'envisager les mesures à prendre pour s'assurer que le parent se trouvant dans cet État est informé de ses droits dans le cadre de la Convention.

Re H. (Abduction: Habitual Residence: Consent) [2000] 2 FLR 294, [Référence INCADAT : HC/E/UKe 478

Les avocats, même ceux des parents ravisseurs, ont le devoir d'attirer l'attention du tribunal sur la Convention lorsque cela est pertinent.

Portée et durée de la protection conférée par l'article 16 ?

L'article 16 n'empêche pas la prise de mesures provisoires et de protection :

Belgique
Cour de cassation 30/10/2008, CG c BS, n° de rôle: C.06.0619.F, [Référence INCADAT : HC/E/BE 750]. Dans ce cas d'espèce les mesures provisoires devinrent toutefois définitives et le retour ne fut jamais appliqué en raison d'un changement des circonstances.

Une demande de retour doit être déposée dans un laps de temps raisonnable :

France
Cass. Civ. 1ère, 9 juillet 2008 (pourvois n° K 06-22090 et M 06-22091), 9.7.2008, [Référence INCADAT : HC/E/FR 749] ;

Royaume-Uni - Angleterre et Pays de Galles
R. v. R. (Residence Order: Child Abduction) [1995] Fam 209, [Référence INCADAT : HC/E/UKe 120].

Une ordonnance de retour devenue définitive mais n'ayant pas encore été exécutée entre dans le champ de l'article 16 :

Allemagne
Bundesgerichtshof, XII. Décision du Zivilsenat du 16 août 2000 - XII ZB 210/99, BGHZ 145, 97 16 August 2000 [Référence INCADAT : HC/E/DE 467].

L'article 16 ne s'appliquera plus lorsqu'une ordonnance de retour ne peut être exécutée :

Suisse
5P.477/2000/ZBE/bnm, [Référence INCADAT : HC/E/CH 785].

Règlement Bruxelles II bis

76;2201/2203 (BRUXELLES II BIS)

L'application de la Convention de La Haye de 1980 dans les États membres de l'Union européenne (excepté le Danemark) a fait l'objet d'un amendement à la suite de l'entrée en vigueur du Règlement (CE) n°2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) n°1347/2000. Voir :

Affaire C-195/08 PPU Rinau v. Rinau, [2008] ECR I 5271 [2008] 2 FLR 1495 [INCADAT cite: HC/E/ 987];

Affaire C 403/09 PPU Detiček v. Sgueglia, [INCADAT cite: HC/E/ 1327].

La Convention de La Haye reste l'instrument majeur de lutte contre les enlèvements d'enfants, mais son application est précisée et complétée.

L'article 11(2) du Règlement de Bruxelles II bis exige que dans le cadre de l'application des articles 12 et 13 de la Convention de La Haye, l'occasion doit être donnée à l'enfant d'être entendu pendant la procédure sauf lorsque cela s'avère inapproprié eu égard à son jeune âge ou son immaturité.

Cette obligation a donné lieu à un changement dans la jurisprudence anglaise :

Re D. (A Child) (Abduction: Foreign Custody Rights) [2006] UKHL 51 [Référence INCADAT : HC/E/UKe 880].

Dans cette espèce le juge Hale indiqua que désormais les enfants seraient plus fréquemment auditionnés dans le cadre de l'application de la Convention de La Haye.

L'article 11(4) du Règlement de Bruxelles II bis prévoit que : « Une juridiction ne peut pas refuser le retour de l'enfant en vertu de l'article 13, point b), de la convention de La Haye de 1980 s'il est établi que des dispositions adéquates ont été prises pour assurer la protection de l'enfant après son retour. »

Décisions ayant tiré les conséquences de l'article 11(4) du Règlement de Bruxelles II bis pour ordonner le retour de l'enfant :

France
CA Bordeaux, 19 janvier 2007, No 06/002739 [Référence INCADAT : HC/E/FR 947];

CA Paris 15 février 2007 [Référence INCADAT : HC/E/FR 979].

Il convient de noter que le Règlement introduit un nouveau mécanisme applicable lorsqu'une ordonnance de non-retour est rendue sur la base de l'article 13. Les autorités de l'État de la résidence habituelle de l'enfant ont la possibilité de rendre une décision contraignante sur la question de savoir si l'enfant doit retourner dans cet État nonobstant une ordonnance de non-retour. Si une telle décision de l'article 11(7) du Règlement est en effet rendue et certifiée dans l'État de la résidence habituelle, elle deviendra automatiquement exécutoire dans l'État de refuge ainsi que dans tous les États Membres.

Décision de retour de l'Article 11(7) du Règlement de Bruxelles II bis rendue :

Re A. (Custody Decision after Maltese Non-return Order: Brussels II Revised) [2006] EWHC 3397 (Fam.), [Référence INCADAT : HC/E/UKe 883].

Décision de retour de l'Article 11(7) du Règlement de Bruxelles II bis refusée :

Re A. H.A. v. M.B. (Brussels II Revised: Article 11(7) Application) [2007] EWHC 2016 (Fam), [2008] 1 FLR 289 [Référence INCADAT : HC/E/UKe 930].

Voir le commentaire de :

P. McEleavy, « The New Child Abduction Regime in the European Community: Symbiotic Relationship or Forced Partnership? », Journal of Private International Law, 2005, p. 5 à 34.