AFFAIRE

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Nom de l'affaire

Droit de la Famille 2785, No 500-09-005532-973

Référence INCADAT

HC/E/CA 653

Juridiction

Pays

Canada

Nom

Cour d'appel de Montréal

Degré

Deuxième Instance

États concernés

État requérant

Espagne

État requis

Canada

Décision

Date

5 December 1995

Statut

Définitif

Motifs

Objectifs de la Convention - Préambule, art. 1 et 2 | Intégration de l'enfant - art. 12(2)

Décision

Recours accueilli, retour refusé

Article(s) de la Convention visé(s)

1 3 12 13(1)(b) 18

Article(s) de la Convention visé(s) par le dispositif

12

Autres dispositions

-

Jurisprudence | Affaires invoquées

-

INCADAT commentaire

Exceptions au retour

Intégration de l'enfant
Intégration de l'enfant
Pouvoir d'ordonner le retour nonobstant l'intégration

Relation avec d’autres instruments internationaux et régionaux et avec le droit interne

Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant
Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant

RÉSUMÉ

Résumé disponible en FR

Faits

L'enfant en cause était né en 1989 en France. Les parents étaient mariés mais la père décida de se séparer de la mère deux semaines avant la naissance de l'enfant, la famille continuant de résider en France. A partir de 1991, il s'installa en Espagne avec sa mère, qui avait obtenu sa garde.

A l'occasion de l'exercice par le père d'un droit de visite de 2 semaines en août 1992, le père décida de garder l'enfant. Il en informa la mère le 3 septembre puis disparut sans donner d'adresse. La mère rechercha l'enfant sans relâche pendant 5 ans dans plusieurs Etats européens, informant les autorités, les journaux, utilisant un détective privé; Interpol rechercha également le père et l'enfant pendant cette période.

La mère localisa finalement l'enfant au Québec en avril 1997; elle en demanda immédiatement le retour sur le fondement de la Convention. Le 17 septembre 1997, la Cour supérieure du Québec ordonna le retour de l'enfant en Espagne. Le père forma un recours contre cette décision.

Dispositif

Recours accueilli et retour refusé; l'enfant s'était intégré dans son nouveau milieu.

Motifs

Objectifs de la Convention - Préambule, art. 1 et 2


La Cour observa que la Convention, mise en oeuvre par la loi au Québec, accordait une importance primordiale à l'intérêt de l'enfant. Il convenait de considérer non pas seulement l'intérêt de l'enfant en général mais également l'intérêt de l'enfant en cause.

Selon le juge Biron, cela résultait de la législation québécoise et l'article 3 de la Convention des Nations Unies sur les droits de l'enfant. Les juges Delisle et Nuss en revanche estimaient que la Convention elle-même, qui vise l'intérêt de l'enfant en général dans son préambule, tient compte de l'intérêt particulier de l'enfant en cause en organisant toute une série de dérogations au mécanisme du retour et imposait que l'intérêt particulier de l'enfant soit recherché.

Intégration de l'enfant - art. 12(2)
La demande de retour avait été formée plus d'un an après le non-retour. Il était donc nécessaire de considérer si l'enfant était intégré.

La Cour estima qu'il importait de considérer non pas seulement l'intégration d'un point de vue matériel mais également dans son aspect psychologique. L'âge de l'enfant et le temps écoulé depuis son enlèvement étaient également des facteurs non négligeables, ainsi que l'opinion de l'enfant.

La Cour considéra que le premier juge aurait dû rencontrer l'enfant (qui le lui demandait). Il n'avait pas davantage reçu de rapport d'expert. L'audition par la Cour d'appel avait révélé un enfant vivement intelligent qui comprenait la situation, qui n'avait pas reconnu sa mère lors d'une rencontre en 1997 et n'avait aucun souvenir de l'Espagne.

Il était parfaitement bien intégré dans sa famille, socialement, à l'école; était très équilibré et n'avait aucun problème psychologique. L'existence d'un demi-frère très proche de l'enfant était également un élément d'intégration à prendre en compte. La Cour conclut que l'enfant s'était intégré dans son nouveau milieu.

La question se posa alors de savoir si le retour devait être prononcé malgré tout. La Cour se référa à l'article 18 qui prévoit que le juge dispose de discrétion et s'intéressa à l'interprétation qui en était faite dans le Rapport Perès Vera.

Elle souligna néanmoins que la loi mettant en oeuvre la Convention au Québec ne reproduisait pas cette disposition et conclut qu'il convenait de refuser d'ordonner le retour de l'enfant, précisant que sa position aurait été la même si l'article 18 avait été intégré à la loi.

Intégration de l'enfant - art. 12(2)

-

Commentaire INCADAT

Intégration de l'enfant

La notion d'intégration ne fait pas encore l'objet d'une interprétation uniforme. La question se pose notamment de savoir si l'intégration doit s'entendre littéralement ou être interprétée à la lumière des objectifs de la Convention. Dans les États faisant prévaloir la deuxième alternative, la charge de la preuve est plus lourde pour le parent ravisseur et l'exception d'application plus rare.

Parmi les États les plus exigeants en ce qui concerne la preuve de l'intégration de l'enfant, on peut citer :

Royaume-Uni - Angleterre et Pays de Galles
Re N. (Minors) (Abduction) [1991] 1 FLR 413, [Référence INCADAT : HC/E/UKe 106] ;
Dans cette espèce, il fut décidé que la notion d'intégration dépassait celle d'adaptation au nouveau milieu. L'intégration implique un élément de relation physique avec une communauté et un environnement. Elle contient un élément émotionnel traduisant la sécurité et la stabilité.

Cannon v. Cannon [2004] EWCA CIV 1330, [2005] 1 FLR 169 [Référence INCADAT : HC/E/UKe 598].

Pour un commentaire critique de Re N., voir :

L.Collins et al., Dicey, Morris & Collins on the Conflict of Laws: fourteenth edition, London, Sweet & Maxwell, 2006, para. 19 à 121.

Il convient toutefois de noter que plus récemment l'Angleterre a vu se développer une analyse de la notion d'intégration centrée sur l'enfant. On se réfèrera à la décision de la Chambre des Lords dans Re M. (Children) (Abduction: Rights of Custody) [2007] UKHL 55, [2008] 1 AC 1288, [Référence INCADAT : HC/E/UKe 937]. Cette décision pourrait remettre en cause la jurisprudence antérieure.

Toutefois cette décision n'a apparemment pas affaibli les exigences posées en la matière par la Common Law comme en témoigne Re F. (Children) (Abduction: Removal Outside Jurisdiction) [2008] EWCA Civ. 842, [2008] 2 F.L.R. 1649 [Référence INCADAT : HC/E/UKe 982].

Royaume-Uni - Écosse
Soucie v. Soucie 1995 SC 134, [Référence INCADAT : HC/E/UKs 107]

Pour que l'article 12(2) trouve à s'appliquer, il faut que l'intérêt qu'a l'enfant à rester dans son nouveau milieu soit si fort qu'il dépasse l'objectif premier de la Convention selon lequel il appartient au juge du lieu de la résidence habituelle qu'avait l'enfant au moment de l'enlèvement de décider de l'avenir de celui-ci.

P. v. S., 2002 FamLR 2 [Référence INCADAT : HC/E/UKs 963]

L'intégration existe dans les situations stables, dont on peut s'attendre qu'elles durent. Il convient d'opérer une certaine projection dans l'avenir.

C. v. C. [2008] CSOH 42, [Référence INCADAT : HC/E/UKs 962]

États-Unis d'Amérique
In re Interest of Zarate, No. 96 C 50394 (N.D. Ill. Dec. 23, 1996), [Référence INCADAT : HC/E/USf  134]

Une interprétation littérale du concept d'intégration a été préférée dans les États suivants :

Australie
Director-General, Department of Community Services v. M. and C. and the Child Representative (1998) FLC 92-829; [Référence INCADAT : HC/E/AU 291];

Chine (Région administrative spéciale de Hong Kong)
A.C. v. P.C. [2004] HKMP 1238, [Référence INCADAT : HC/E/HK 825]

L'impact de la différence d'interprétation est sans doute plus marqué lorsque ce sont des jeunes enfants qui sont en cause.

Il a été décidé que l'intégration doit s'apprécier du point de vue du jeune enfant en :

Autriche
7Ob573/90 Oberster Gerichtshof, 17/05/1990, [Référence INCADAT : HC/E/AT 378] ;

Australie
Secretary, Attorney-General's Department v. T.S. (2001) FLC 93-063, [Référence INCADAT : HC/E/AU 823] ;

State Central Authority v. C.R. [2005] Fam CA 1050, [Référence INCADAT : HC/E/AU 824] ;

Israël
Family Application 000111/07 Ploni v. Almonit,  [Référence INCADAT : HC/E/IL 938] ;

Monaco
R 6136; M. Le Procureur Général contre M. H. K, [Référence INCADAT : HC/E/MC 510] ;

Suisse
Präsidium des Bezirksgerichts St. Gallen (Cour cantonale de St. Gallen) (Suisse), décision du 8 Septembre 1998, 4 PZ 98-0217/0532N, [Référence INCADAT : HC/E/CH 431].

Une approche centrée sur l'enfant a également été adoptée dans des décisions importantes rendues à propos d'enfants plus grands, l'accent étant mis sur l'opinion de l'enfant.

Royaume-Uni - Angleterre et Pays de Galles
Re M. (Children) (Abduction: Rights of Custody) [2007] UKHL 55, [2008] 1 AC 1288, [Référence INCADAT : HC/E/UKe 937];

France
CA Paris 27 Octobre 2005, 05/15032, [Référence INCADAT : HC/E/FR 814];

Québec
Droit de la Famille 2785, Cour d'appel de Montréal, 5 décembre 1997, No 500-09-005532-973 [Référence INCADAT : HC/E/CA 653].

En revanche, c'est une analyse plus objective de l'intégration qui a été préférée aux États-Unis d'Amérique :

David S. v. Zamira S., 151 Misc. 2d 630, 574 N.Y.S. 2d 429 (Fam. Ct. 1991), [Référence INCADAT : HC/E/USs 208];
Les enfants, âgés de 3 ans et 1 an ½ n'avaient pas établi de liens importants dans leur nouveau milieu de Brooklyn. Ils ne participaient pas aux activités scolaires, extrascolaires, religieuses, sociales ou communautaires auxquelles des enfants plus âgés se livrent.

Pouvoir d'ordonner le retour nonobstant l'intégration

Au contraire de l'exception de l'article 13, l'article 12(2) ne prévoit pas expressément la possibilité pour les juridictions saisies de la demande de retour de disposer d'un pouvoir discrétionnaire pour ordonner le retour en cas d'intégration. Lorsque la question s'est posée, il apparaît néanmoins que les cours ont majoritairement  admis le caractère discrétionnaire de l'application de cette disposition.  La question s'est toutefois posée en des termes très variables :

Australie
La question n'a pas été définitivement résolue mais il semble que la Cour d'appel a sous-entendu le caractère discrétionnaire de l'article 12(2), référence faite à la jurisprudence anglaise et écossaise. Voir :

Director-General Department of Families, Youth and Community Care v. Moore, (1999) FLC 92-841 [Référence INCADAT : HC/E/AU 276].

Royaume-Uni - Angleterre et Pays de Galles
La jurisprudence anglaise déduisait l'existence d'un pouvoir discrétionnaire de l'article 18, voir :

Re S. (A Minor) (Abduction) [1991] 2 FLR 1, [Référence INCADAT : HC/E/UKe 163];

Cannon v. Cannon [2004] EWCA CIV 1330, [2005] 1 FLR 169 [Référence INCADAT : HC/E/UKe 598].

Toutefois cette interprétation a été expressément rejetée par la Chambre des Lords dans Re M. (Children) (Abduction: Rights of Custody) [2007] UKHL 55, [2008] 1 AC 1288, [Référence INCADAT : HC/E/UKe 937]. La majorité des juges estima que l'article 12(2) laissait ouverte la question de savoir si le retour pouvait discrétionnairement être ordonné nonobstant l'intégration. Les juges soulignèrent que l'article 18 ne donne pas un nouveau pouvoir d'ordonner le retour d'un enfant mais se réfère simplement à un pouvoir préexistant en droit interne.

Irlande
Il a été fait référence à la jurisprudence ancienne anglaise et à l'article 18 pour justifier l'existence d'un pouvoir discrétionnaire :

P. v. B. (No. 2) (Child Abduction: Delay) [1999] 4 IR 185; [1999] 2 ILRM 401, [Référence INCADAT : HC/E/IE 391];

Nouvelle-Zélande
En Nouvelle-Zélande, le pouvoir discrétionnaire est prévu par la législation de mise en œuvre de la Convention. Voir :

Secretary for Justice (as the NZ Central Authority on behalf of T.J.) v. H.J. [2006] NZSC 97, [Référence INCADAT : HC/E/NZ 882]

Royaume-Uni - Écosse
Quoique la question n'ait pas été envisagée en détail puisqu'en l'espèce il n'y avait pas eu intégration, il fut suggéré que l'application de l'exception avait un caractère discrétionnaire, référence étant faite à l'article 18.

Soucie v. Soucie 1995 SC 134, [Référence INCADAT : HC/E/UKs 107]

Parmi les décisions qui n'ont pas usé de pouvoir discrétionnaire dans le cadre de l'application de l'article 12(2), voir :

Australie
State Central Authority v. Ayob (1997) FLC 92-746, 21 Fam. LR 567, [Référence INCADAT : HC/E/AU 232], - ultérieurement discuté;

State Central Authority v. C.R. [2005] Fam CA 1050, [Référence INCADAT : HC/E/AU 824];

Royaume-Uni - Angleterre et Pays de Galles
Re C. (Abduction: Settlement) [2004] EWHC 1245, [2005] 1 FLR 127, (Fam), [Référence INCADAT :  HC/E/UKe 596] - ultérieurement remis en cause;

Chine (Région administrative spéciale de Hong Kong)
A.C. v. P.C. [2004] HKMP 1238, [Référence INCADAT : HC/E/HK 825];

Canada (Québec)
Droit de la Famille 2785, Cour d'appel de Montréal, 5 décembre 1997, No 500-09-005532-973 , [Référence INCADAT : HC/E/CA 653].

L'article 18 n'ayant pas été reproduit dans la loi mettant en œuvre la Convention au Québec, il a été considéré que le juge ne dispose pas d'un pouvoir discrétionnaire en cas d'intégration.

Sur l'usage d'un pouvoir discrétionnaire lorsque l'enfant enlevé s'est intégré dans son nouveau milieu, voir :

P. Beaumont et P. McEleavy, The Hague Convention on International Child Abduction, Oxford, OUP, 1999, p. 204 et seq.

R. Schuz, « In Search of a Settled Interpretation of Art 12(2) of the Hague Child Abduction Convention » Child and Family Law Quarterly, 2008.

Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant

Résumé INCADAT en cours de préparation.