AFFAIRE

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Nom de l'affaire

Cass Civ 1ère, 26 octobre 2011, Nº de pourvoi 10-19.905, 1015

Référence INCADAT

HC/E/FR 1130

Juridiction

Pays

France

Degré

Instance Suprême

États concernés

État requérant

États-Unis d'Amérique

État requis

France

Décision

Date

26 October 2011

Statut

Définitif

Motifs

Résidence habituelle - art. 3 | Déplacement et non-retour - art. 3 et 12 | Acquiescement - art. 13(1)(a) | Risque grave - art. 13(1)(b) | Questions procédurales

Décision

-

Article(s) de la Convention visé(s)

3 6 8 9 10 11 13(1)(b)

Article(s) de la Convention visé(s) par le dispositif

3 13(1)(b)

Autres dispositions

-

Jurisprudence | Affaires invoquées

-

INCADAT commentaire

Objectifs et domaine d’application de la Convention

Résidence habituelle
Un enfant peut-il se trouver sans résidence habituelle?
Déménagement ou Installation à l'étranger

Exceptions au retour

Risque grave de danger
Jurisprudence française

RÉSUMÉ

Résumé disponible en EN | FR | ES

Faits

L'affaire concernait deux enfants issus d'un couple franco-américain marié. L'aînée était née au Michigan en 2005. En novembre 2007, la mère, enceinte de son deuxième enfant, alla en France avec sa fille aînée afin de rendre visite à son père mourant. Elle resta en France après le décès de celui-ci et y accoucha 3 mois plus tard, en février 2008, d'un petit garçon.

Le 13 mars 2008, le père demanda le retour des enfants. La demande fut accueillie en première instance en octobre 2008 et la Cour d'appel de Lyon confirma l'ordonnance de retour en décembre 2008. La mère forma un recours en cassation.

Dispositif

Recours rejeté; la Cour d'appel avait à bon droit constaté l'illicéité du non-retour des enfants et l'inapplicabilité des exceptions.

Motifs

Résidence habituelle - art. 3

La mère contestait que son bébé né en France puisse être considéré comme ayant sa résidence habituelle aux Etats-Unis d'Amérique. La Cour de cassation considéra que la Cour d'appel avait, par décision motivée, considéré que les deux parents, disposant conjointement et pleinement de l'autorité parentale, avaient leur résidence habituelle aux Etats-Unis d'Amérique et que cette résidence ne pouvait changer du seul fait de la naissance en France de leur bébé et de la volonté unilatérale de la mère d'y demeurer.

Déplacement et non-retour - art. 3 et 12

Plusieurs griefs de la mère concernait l'applicabilité de la Convention au regard du bébé né en février 2008: selon elle, cet enfant ne pouvait avoir été victime d'un déplacement puisqu'il était né en France et n'était jamais allé aux Etats-Unis d'Amérique.

La Cour de cassation indiqua que la Cour d'appel avait bien pu déduire l'existence d'un non-retour illicite du fait que les deux parents avaient leur résidence habituelle aux Etats-Unis d'Amérique et de ce que le père avait seulement autorisé la mère à un déplacement ponctuel en France.

Acquiescement - art. 13(1)(a)

La mère faisait encore valoir que la Cour d'appel aurait dû répondre au grief d'acquiescement du père, ce qu'elle n'avait pas fait. La Cour de cassation souligna que la Cour d'appel avait relevé que le père n'avait pas autorisé la mère à s'installer avec les enfants en France mais avait seulement « consenti à un déplacement ponctuel limité dans le temps ».

Risque grave - art. 13(1)(b)

La mère estimait que le retour exposerait les enfants à un danger; elle critiquait notamment la Cour d'appel pour avoir considéré que la mère avait elle-même exposé ses enfants à un danger en effectuant un déplacement illicite et que le père agissait dans l'intérêt supérieur des enfants, et elle soulignait la nécessité de tirer les conséquences d'un danger avéré.

Elle ajoutait que la Cour aurait dû rechercher si l'aînée des enfants, de l'âge de 4 ans, ne serait pas exposée à un risque grave puisqu'elle vivait en France depuis plus d'un an mais également si séparer le cadet de 10 mois de sa mère ne présentait pas un danger psychique pour lui.

La Cour de cassation rejeta ces griefs, indiquant que la Cour d'appel avait relevé que « les deux parents étaient en mesure de prodiguer aux enfants une éducation et des conditions de vie décentes et que la mère ne pouvait se prévaloir d'aucun danger pour ses enfants alors même qu'elle les avait, de son fait, placés en danger affectif et moral en les éloignant de leur père ».

Questions procédurales

La Cour d'appel avait constaté que la copie d'un courrier produit par la mère ne visait que l'aînée des enfants, mais que ce document était complété par un courrier émanant de l'Autorité centrale requise indiquant « sans ambiguïté possible que la demande de retour adressée à l'Autorité centrale française par l'Autorité centrale américaine concernait les deux enfants du couple ».

La mère contestait l'étendue de la saisine de la Cour, indiquant qu'un courrier de l'Autorité centrale requise était impropre à établir l'étendue de la saisine de celle-ci par l'Autorité centrale requérante. La Cour de cassation releva toutefois que par motifs adoptés, la Cour d'appel avait retenu que l'acte introductif d'instance visait bien les deux enfants.

Auteur du résumé : Aude Fiorini

Commentaire INCADAT

Un enfant peut-il se trouver sans résidence habituelle?

Dans la jurisprudence conventionnelle ancienne, les cours se sont montrées peu enclines à admettre qu'un enfant puisse se trouver sans résidence habituelle, notamment en raison du fait qu'une telle conclusion rendait inapplicable la Convention, voir :

Royaume-Uni - Angleterre et Pays de Galles
Re F. (A Minor) (Child Abduction) [1992] 1 FLR 548 [Référence INCADAT : HC/E/UKe 40];

Australie
Cooper v. Casey (1995) FLC 92-575 [Référence INCADAT : HC/E/AU 104].

Toutefois, plus récemment on constate que les cours reconnaissent qu'il y a des situations dans lesquelles il est impossible d'admettre que l'enfant a une résidence habituelle quelque part.

D.W. & Director-General, Department of Child Safety [2006] FamCA 93, [Référence INCADAT : HC/E/AU 870].

Dans cette affaire, la majorité des juges a estimé que certes leur conclusion empêchait l'application de la Convention mais a souligné que l'intérêt des enfants pouvait pâtir d'une trop grande propension des tribunaux à admettre que le parent ayant tenté de se réconcilier avec l'autre parent en vivant avec lui à l'étranger afin de donner à l'enfant une famille biparentale doit, avec l'enfant, avoir acquis une résidence habituelle dans cet État.

Royaume-Uni - Angleterre et Pays de Galles
W. and B. v. H. (Child Abduction: Surrogacy) [2002] 1 FLR 1008 [Référence INCADAT : HC/E/UKe 470] ;

Royaume-Uni - Écosse
Robertson v. Robertson 1998 SLT 468 [Référence INCADAT : HC/E/UKs 194] ;

D. v. D. 2002 SC 33 [Référence INCADAT : HC/E/UKs 351] ;

Nouvelle-Zélande
S.K. v. K.P. [2005] 3 NZLR 590, [Référence INCADAT : HC/E/NZ 816] ;

États-Unis d'Amérique
Delvoye v. Lee, 329 F.3d 330 (3rd Cir. 2003) [Référence INCADAT : HC/E/USf 529] ;

Ferraris v. Alexander, 125 Cal. App. 4th 1417 (2005) [Référence INCADAT : HC/E/US 797].

Déménagement ou Installation à l'étranger

Lorsqu'une intention de s'installer à l'étranger pour y commencer un nouveau chapitre de sa vie est établie, la résidence habituelle préexistante va être perdue et une nouvelle résidence habituelle pourra rapidement être acquise.

Dans les pays de common law, il est admis que cette acquisition peut survenir rapidement, voir :

Canada
DeHaan v. Gracia [2004] AJ No.94 (QL), [2004] ABQD 4 [Référence INCADAT : HC/E/CA 576];

Royaume-Uni - Angleterre et Pays de Galles
Re J. (A Minor) (Abduction: Custody Rights) [1990] 2 AC 562 [Référence INCADAT : HC/E/UKe 2];

Re F. (A Minor) (Child Abduction) [1992] 1 FLR 548, [1992] Fam Law 195 [Référence INCADAT : HC/E/UKe 40]

Dans les pays de droit civil, il a été admis qu'une résidence habituelle peut être acquise immédiatement, voir:
 
Suisse
5P.367/2005/ast, Bundesgericht, II. Zivilabteilung (Tribunal Fédéral, 2ème Chambre Civile), [Référence INCADAT: HC/E/CH 841].

Déménagements soumis à une condition future

Si l'accord des parents concernant le déménagement est soumis à une condition future, la résidence habituelle qui existait avant le déménagement est-elle perdue immédiatement lors du déménagement ?

Australie

Le tribunal familial australien (the Family Court of Australia) siégeant en séance plénière a répondu par la négative à cette question et a également déclaré que la perte de la résidence habituelle pouvait même ne pas découler de la réalisation de la condition en question, si à ce moment-là le parent désirant déménager ne s'engage pas clairement à déménager :

Kilah & Director-General, Department of Community Services [2008] FamCAFC 81, [Référence INCADAT : HC/E/AU 995].

Cependant, cette décision a été renversée en appel par la Haute Cour d'Australie, qui a considéré qu'une résidence habituelle existante pouvait être perdue si la volonté de déménager présentait un degré suffisant de continuité pour être décrite comme ferme. Il n'était donc pas nécessaire d'avoir une ferme intention d'établir sa résidence sur le « long terme ».

L.K. v. Director-General Department of Community Services [2009] HCA 9, (2009) 253 ALR 202, [Référence INCADAT: HC/E/AU 1012].

Jurisprudence française

Le traitement de l'article 13(1) b) a évolué. L'interprétation permissive initialement privilégiée par les cours a fait place à une interprétation plus stricte.

Les jugements de la plus haute juridiction française, la Cour de cassation, rendus du milieu à la fin des années 1990 contrastent avec la position des juridictions d'appel et des arrêts de cassation plus récents. Voir :

Cass. Civ. 1ère 12 juillet 1994, Rev. Crit. 84 (1995), p. 96 note H. Muir Watt ; JCP 1996 IV 64 note Bosse-Platière, Defrénois 1995, art. 36024, note J. Massip [Référence INCADAT : HC/E/FR 103] ;

Cass. Civ. 1ère 21 novembre 1995 (Pourvoi N° 93-20140), [Référence INCADAT : HC/E/FR 514] ;

Cass. Civ. 1ère 22 juin 1999, (N° de pourvoi : 98-17902), [Référence INCADAT : HC/E/FR 498] ;

Et comparer avec:

Cass. Civ. 1ère 25 janvier 2005 (N° de pourvoi : 02-17411), [Référence INCADAT : HC/E/FR 708] ;

Cass. Civ. 1ère 14 juin 2005 (N° de pourvoi : 04-16942), [Référence INCADAT : HC/E/FR 844] ;

Cass. Civ. 1ère 13 juillet 2005 (N° de pourvoi : 05-10519), [Référence INCADAT : HC/E/FR 845] ;

CA. Amiens 4 mars 1998, n°5704759, [Référence INCADAT : HC/E/FR 704] ;

CA. Grenoble 29 mars 2000 M. c. F., [Référence INCADAT : HC/E/FR 274] ;

CA. Paris 7 février 2002 (N° de pourvoi : 2001/21768), [Référence INCADAT : HC/E/FR 849] ;

CA. Paris, 20/09/2002 (N° de pourvoi : 2002/13730), [Référence INCADAT : HC/E/FR 850] ;

CA. Aix en Provence 8 octobre 2002, L c. Ministère Public, Mme B. et Mesdemoiselles L. (N° de rôle 02/14917) [Référence INCADAT : HC/E/FR 509] ;

CA. Paris 27 octobre 2005, 05/15032 [Référence INCADAT : HC/E/FR 814] ;

Cass. Civ. 1ère 14 décembre 2005 (N° de pourvoi : 05-12934) [Référence INCADAT : HC/E/FR @889@] ;

Cass. Civ. 1ère 14 November 2006 (N° de pourvoi : 05-15692) [Référence INCADAT : HC/E/FR @890@].

Pour des exemples récents où le retour a été refusé sur le fondement de l'article 13(1) b) :

Cass. Civ. 1ère 12 Décembre 2006 (N° de pourvoi : 05-22119) [Référence INCADAT : HC/E/FR @891@] ;

Cass. Civ. 1ère 17 Octobre 2007 [Référence INCADAT : HC/E/FR @946@]. 

L'interprétation donnée à l'article 13(1) b) par la Cour d'appel de Rouen en 2006, quoique simplement obiter, rappelle l'interprétation permissive qui était constante au début des années 1990. Voir :

CA. Rouen, 9 Mars 2006, N°05/04340 [Référence INCADAT : HC/E/FR @897@].