AFFAIRE

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Nom de l'affaire

1Ob220/02p, Oberster Gerichtshof

Référence INCADAT

HC/E/AT 550

Juridiction

Pays

Autriche

Nom

Oberster Gerichtshof (Cour suprême d’Autriche)

Degré

Instance Suprême

États concernés

État requérant

Australie

État requis

Autriche

Décision

INCADAT commentaire

Objectifs et domaine d’application de la Convention

Résidence habituelle
Résidence habituelle
Déménagement ou Installation à l'étranger

RÉSUMÉ

Résumé disponible en EN | FR

Faits

Les trois enfants avaient tous une double nationalité austro-australienne. Les parents étaient mariés et avaient vécu avec les enfants en Autriche jusqu'au début du mois de décembre 2000. Du 8 décembre 2000 à décembre 2001, la famille vécut en Australie. Selon le père, la famille devait s'installer en Australie pour au moins 2 ans. Selon la mère, la famille était allée en vacances en Australie et ce n'était qu'une fois sur place que le père, de nationalité australienne, avait indiqué qu'il souhaitait y demeurer.

En décembre 2001, la mère, prétextant souhaiter rendre visite à son père malade, emmena les enfants en Autriche. Selon la mère, ce retour devait être définitif ; selon le père, il avait été convenu que la mère et les enfants rentreraient en Australie le 31 janvier 2002. Ils ne retournèrent pas en Australie. Le père demanda le retour des enfants.

Le 8 mai 2002, le tribunal cantonal (Bezirksgericht) de Neusiedl am See (Autriche) rejeta la demande du père au motif que la Convention de 1980 était inapplicable dans la mesure où les enfants avaient leur résidence habituelle en Autriche. Les enfants et la mère n'avaient jamais acquis volontairement de résidence habituelle en Australie, mais avaient été de fait empêchés de rentrer en Autriche. Le père interjeta appel. Le 19 juillet 2002, le tribunal d'instance (Landesgericht) de Eisenstadt, confirma la décision du 8 mai.

La doctrine et la jurisprudence qui considèrent que la notion de résidence habituelle est purement factuelle et n'est pas influencée par le caractère volontaire ou forcé de la résidence ne sont pas applicables aux affaires dans lesquelles, comme en l'espèce, le lieu de vie des enfants a été unilatéralement choisi par l'un des parents (le père). Le père forma un recours.

Dispositif

Le recours du père est recevable et justifié: les juges du fond n'ont pas recherché dans le cadre de l'article 3 si les enfants n'avaient pas acquis de résidence habituelle en Australie.

Motifs

Résidence habituelle - art. 3


La Cour considéra que les juges du fond ne l'avaient pas mise en mesure d'exercer son contrôle. Elle était, en raison de l'absence de constatations factuelles des juges du fond, dans l'incapacité de vérifier si les enfants avaient, ou non, acquis une résidence habituelle en Australie.

Selon la Cour, le concept de résidence habituelle de la Convention de La Haye de 1980, qui est interprété de la même façon que dans la Convention de La Haye sur la protection des mineurs, ne requiert pas la volonté de rester de manière permanente dans le lieu de résidence, mais implique l'idée qu'un lieu est, de fait, au centre de la vie d'une personne, de son existence économique et de ses relations sociales.

Ce qui importe est l'existence de liens durables entre une personne et son lieu de séjour. Ajoutant que la résidence est une notion purement factuelle, la Cour précisa que si la durée de la résidence n'est pas, à elle seule, une circonstance déterminante, il est généralement admis qu'une résidence de plus de 6 mois dans un État peut être caractérisée de résidence habituelle, quoiqu'une telle conclusion doive être le résultat de l'analyse d'autres conditions, spécialement lorsque le séjour des enfants a été plus ou moins imposé.

Une résidence habituelle peut être acquise quand bien même elle aurait été établie contre la volonté d'un gardien de l'enfant (puisqu'il s'agit d'une détermination factuelle du centre de vie des enfants). Certes la volonté de ce gardien peut avoir un effet sur la résidence habituelle des enfants en ce qu'elle peut les amener à considérer l'établissement à l'étranger comme temporaire. Toutefois, il convient de ne pas nier l'existence d'une résidence habituelle dès lors que la résidence dans cet État a été longue et que les enfants se sont intégrés socialement.

La Cour conclut donc que les juges du fond n'auraient pas dû déduire l'absence de résidence habituelle des enfants en Australie du simple fait que l'établissement dans ce pays n'avait pas été volontaire. L'affaire fut renvoyée à un tribunal, afin qu'il se prononce sur la réalité de la résidence habituelle des enfants. La Cour indiqua toutefois que le tribunal de renvoi devrait s'assurer que la mère serait en mesure de faire valoir d'éventuelles exceptions.

Auteur du résumé : Aude Fiorini

Commentaire INCADAT

Résidence habituelle

L'interprétation de la notion centrale de résidence habituelle (préambule, art. 3 et 4) s'est révélée particulièrement problématique ces dernières années, des divergences apparaissant dans divers États contractants. Une approche uniforme fait défaut quant à la question de savoir ce qui doit être au cœur de l'analyse : l'enfant seul, l'enfant ainsi que l'intention des personnes disposant de sa garde, ou simplement l'intention de ces personnes. En conséquence notamment de cette différence d'approche, la notion de résidence peut apparaître comme un élément de rattachement très flexible dans certains États contractants ou un facteur de rattachement plus rigide et représentatif d'une résidence à long terme dans d'autres.

L'analyse du concept de résidence habituelle est par ailleurs compliquée par le fait que les décisions concernent des situations factuelles très diverses. La question de la résidence habituelle peut se poser à l'occasion d'un déménagement permanent à l'étranger, d'un déménagement consistant en un test d'une durée illimitée ou potentiellement illimitée ou simplement d'un séjour à l'étranger de durée déterminée.

Tendances générales:

La jurisprudence des cours d'appel fédérales américaines illustre la grande variété d'interprétations données au concept de résidence habituelle.
Approche centrée sur l'enfant

La cour d'appel fédérale des États-Unis d'Amérique du 6e ressort s'est prononcée fermement en faveur d'une approche centrée sur l'enfant seul :

Friedrich v. Friedrich, 983 F.2d 1396, 125 ALR Fed. 703 (6th Cir. 1993) (6th Cir. 1993) [Référence INCADAT : HC/E/USf 142]

Robert v. Tesson, 507 F.3d 981 (6th Cir. 2007) [Référence INCADAT : HC/E/US 935]

Voir aussi :

Villalta v. Massie, No. 4:99cv312-RH (N.D. Fla. Oct. 27, 1999) [Référence INCADAT : HC/E/USf 221].

Approche combinée des liens de l'enfant et de l'intention parentale

Les cours d'appel fédérales des États-Unis d'Amérique des 3e et 8e ressorts ont privilégié une méthode où les liens de l'enfant avec le pays ont été lus à la lumière de l'intention parentale conjointe.
Le jugement de référence est le suivant : Feder v. Evans-Feder, 63 F.3d 217 (3d Cir. 1995) [Référence INCADAT : HC/E/USf 83].

Voir aussi :

Silverman v. Silverman, 338 F.3d 886 (8th Cir. 2003) [Référence INCADAT : HC/E/USf 530] ;

Karkkainen v. Kovalchuk, 445 F.3d 280 (3rd Cir. 2006) [Référence INCADAT : HC/E/USf 879].

Dans cette dernière espèce, une distinction a été pratiquée entre la situation d'enfants très jeunes (où une importance plus grande est attachée à l'intention des parents - voir par exemple : Baxter v. Baxter, 423 F.3d 363 (3rd Cir. 2005) [Référence INCADAT : HC/E/USf 808]) et celle d'enfants plus âgés pour lesquels l'intention parentale joue un rôle plus limité.

Approche centrée sur l'intention parentale

Aux États-Unis d'Amérique, la Cour d'appel fédérale du 9e ressort a rendu une décision dans l'affaire Mozes v. Mozes, 239 F.3d 1067 (9th Cir. 2001) [Référence INCADAT : HC/E/USf 301], qui s'est révélée très influente en exigeant la présence d'une intention ferme d'abandonner une résidence préexistante pour qu'un enfant puisse acquérir une nouvelle résidence habituelle.

Cette interprétation a été reprise et précisée par d'autres décisions rendues en appel par des juridictions fédérales de sorte qu'en l'absence d'intention commune des parents en cas de départ pour l'étranger, la résidence habituelle a été maintenue dans le pays d'origine, alors même que l'enfant a passé une période longue à l'étranger.  Voir par exemple :

Holder v. Holder, 392 F.3d 1009 (9th Cir 2004) [Référence INCADAT : HC/E/USf 777] : Résidence habituelle maintenue aux États-Unis d'Amérique malgré un séjour prévu de 4 ans en Allemagne ;

Ruiz v. Tenorio, 392 F.3d 1247 (11th Cir. 2004) [Référence INCADAT : HC/E/USf 780] : Résidence habituelle maintenue aux États-Unis d'Amérique malgré un séjour de 32 mois au Mexique ;

Tsarbopoulos v. Tsarbopoulos, 176 F. Supp.2d 1045 (E.D. Wash. 2001) [INCADAT : HC/E/USf 482] : Résidence habituelle maintenue aux États-Unis d'Amérique malgré un séjour de 27 mois en Grèce.

La décision rendue dans l'affaire Mozes a également été approuvée par les cours fédérales d'appel du 2e et du 7e ressort :

Gitter v. Gitter, 396 F.3d 124 (2nd Cir. 2005) [Référence INCADAT : HC/E/USf 776] ;

Koch v. Koch, 450 F.3d 703 (2006 7th Cir.) [Référence INCADAT : HC/E/USf 878] ;

Il convient de noter que dans l'affaire Mozes, la Cour a reconnu que si suffisamment de temps s'est écoulé et que l'enfant a vécu une expérience positive, la vie de l'enfant peut être si fermement attachée à son nouveau milieu qu'une nouvelle résidence habituelle doit pouvoir y être acquise nonobstant l'intention parentale contraire.

Autres États contractants

Dans d'autres États contractants, la position a évolué :

Autriche
La Cour suprême d'Autriche a décidé qu'une résidence de plus de six mois dans un État sera généralement caractérisée de résidence habituelle, quand bien même elle aurait lieu contre la volonté du gardien de l'enfant (puisqu'il s'agit d'une détermination factuelle du centre de vie).

8Ob121/03g, Oberster Gerichtshof [Référence INCADAT: HC/E/AT 548].

Canada
Au Québec, au contraire, l'approche est centrée sur l'enfant :
Dans Droit de la famille 3713, No 500-09-010031-003 [Référence INCADAT : HC/E/CA 651], la Cour d'appel de Montréal a décidé que la résidence habituelle d'un enfant est simplement une question de fait qui doit s'apprécier à la lumière de toutes les circonstances particulières de l'espèce en fonction de la réalité vécue par l'enfant en question, et non celle de ses parents. Le séjour doit être d'une durée non négligeable (nécessaire au développement de liens par l'enfant et à son intégration dans son nouveau milieu) et continue, aussi l'enfant doit-il avoir un lien réel et actif avec sa résidence; cependant, aucune durée minimale ne peut être formulée.

Allemagne
Une approche factuelle et centrée sur l'enfant ressort également de la jurisprudence allemande :

2 UF 115/02, Oberlandesgericht Karlsruhe [Référence INCADAT: HC/E/DE 944].

La Cour constitutionnelle fédérale a ainsi admis qu'une résidence habituelle puisse être acquise bien que l'enfant ait été illicitement déplacé dans le nouvel État de résidence :

Bundesverfassungsgericht, 2 BvR 1206/98, 29. Oktober 1998 [Référence INCADAT: HC/E/DE 233].

La Cour constitutionnelle a confirmé l'analyse de la Cour régionale d'appel selon laquelle les enfants avaient acquis leur résidence habituelle en France malgré la nature de leur déplacement là-bas. La Cour a en effet considéré  que la résidence habituelle était un concept factuel, et les enfants s'étaient intégrés dans leur milieu local pendant les neuf mois qu'ils y avaient vécu.

Israël
Des approches alternatives ont été adoptées lors de la détermination de la résidence habituelle. Il est arrivé qu'un poids important ait été accordé à l'intention parentale. Voir :

Family Appeal 1026/05 Ploni v. Almonit [Référence INCADAT: HC/E/Il 865] ;

Family Application 042721/06 G.K. v Y.K. [Référence INCADAT: HC/E/Il 939].

Cependant, il a parfois été fait référence à une approche plus centrée sur l'enfant. Voir :

décision de la Cour suprême dans C.A. 7206/03, Gabai v. Gabai, P.D. 51(2)241 ;

FamA 130/08 H v H [Référence INCADAT: HC/E/IL 922].

Nouvelle-Zélande
Contrairement à l'approche privilégiée dans l'affaire Mozes, la cour d'appel de la Nouvelle-Zélande a expressément rejeté l'idée que pour acquérir une nouvelle résidence habituelle, il convient d'avoir l'intention ferme de renoncer à la résidence habituelle précédente. Voir :

S.K. v. K.P. [2005] 3 NZLR 590 [Référence INCADAT: HC/E/NZ 816].

Suisse
Une approche factuelle et centrée sur l'enfant ressort de la jurisprudence suisse :

5P.367/2005/ast, Bundesgericht, II. Zivilabteilung (Tribunal Fédéral, 2ème Chambre Civile) [Référence INCADAT: HC/E/CH 841].

Royaume-Uni
L'approche standard est de considérer conjointement la ferme intention des personnes ayant la charge de l'enfant et la réalité vécue par l'enfant.

Re J. (A Minor) (Abduction: Custody Rights) [1990] 2 AC 562, [1990] 2 All ER 961, [1990] 2 FLR 450, sub nom C. v. S. (A Minor) (Abduction) [Référence INCADAT: HC/E/UKe 2].

Pour un commentaire doctrinal des différentes approches du concept de résidence habituelle dans les pays de common law. Voir :

R. Schuz, « Habitual Residence of  Children under the Hague Child Abduction Convention: Theory and Practice », Child and Family Law Quarterly, Vol. 13, No1, 2001, p.1 ;

R. Schuz, « Policy Considerations in Determining Habitual Residence of a Child and the Relevance of Context » Journal of Transnational Law and Policy, Vol. 11, 2001, p. 101.

Déménagement ou Installation à l'étranger

Lorsqu'une intention de s'installer à l'étranger pour y commencer un nouveau chapitre de sa vie est établie, la résidence habituelle préexistante va être perdue et une nouvelle résidence habituelle pourra rapidement être acquise.

Dans les pays de common law, il est admis que cette acquisition peut survenir rapidement, voir :

Canada
DeHaan v. Gracia [2004] AJ No.94 (QL), [2004] ABQD 4 [Référence INCADAT : HC/E/CA 576];

Royaume-Uni - Angleterre et Pays de Galles
Re J. (A Minor) (Abduction: Custody Rights) [1990] 2 AC 562 [Référence INCADAT : HC/E/UKe 2];

Re F. (A Minor) (Child Abduction) [1992] 1 FLR 548, [1992] Fam Law 195 [Référence INCADAT : HC/E/UKe 40]

Dans les pays de droit civil, il a été admis qu'une résidence habituelle peut être acquise immédiatement, voir:
 
Suisse
5P.367/2005/ast, Bundesgericht, II. Zivilabteilung (Tribunal Fédéral, 2ème Chambre Civile), [Référence INCADAT: HC/E/CH 841].

Déménagements soumis à une condition future

Si l'accord des parents concernant le déménagement est soumis à une condition future, la résidence habituelle qui existait avant le déménagement est-elle perdue immédiatement lors du déménagement ?

Australie

Le tribunal familial australien (the Family Court of Australia) siégeant en séance plénière a répondu par la négative à cette question et a également déclaré que la perte de la résidence habituelle pouvait même ne pas découler de la réalisation de la condition en question, si à ce moment-là le parent désirant déménager ne s'engage pas clairement à déménager :

Kilah & Director-General, Department of Community Services [2008] FamCAFC 81, [Référence INCADAT : HC/E/AU 995].

Cependant, cette décision a été renversée en appel par la Haute Cour d'Australie, qui a considéré qu'une résidence habituelle existante pouvait être perdue si la volonté de déménager présentait un degré suffisant de continuité pour être décrite comme ferme. Il n'était donc pas nécessaire d'avoir une ferme intention d'établir sa résidence sur le « long terme ».

L.K. v. Director-General Department of Community Services [2009] HCA 9, (2009) 253 ALR 202, [Référence INCADAT: HC/E/AU 1012].