HC/E/BE 1431
Belgique
Cour d’appel de Bruxelles, chambre de la famille
Deuxième Instance
madame Sophie Demars, juge d’appel de la famille et de la jeunesse
Espagne
Belgique
12 November 2019
Définitif
Objectifs de la Convention - Préambule, art. 1 et 2 | Résidence habituelle - art. 3 | Décision ou attestation selon l'article 15 | Questions procédurales | Règlement Bruxelles II bis (Règlement (CE) No 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003)
Recours accueilli, demande rejetée
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C.J.U.E. 2 avril 2009, affaire C-523/07 en cause A., R.T.D.F., 2010, p. 251 et s. ; C.J.U.E. 22 décembre 2010, affaire C-497/10 en cause Mercredi contre Chaffe, L’observateur de Bruxelles, n° 84, avril 2011, pp. 79-80 ; C.J.U.E., 8 juin 2017, affaire C-111/17 en cause OL contre PQ
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Le père, belge, et la mère, espagnole, se sont rencontrés en juin 2013 en Belgique. Leur enfant, B, est né en 2015 et a la double nationalité belge et espagnole.
Durant la vie commune, les parties vivaient entre l’Espagne et la Belgique. La mère travaillait au sein d’une entreprise familiale (librairie) située en Espagne et le père avait un employeur belge, mais chacun pouvait prester une part de ses activités à distance. Depuis sa naissance, leur enfant a vécu avec ses parents, tantôt en Espagne, tantôt en Belgique.
L’enfant a entamé sa scolarité maternelle en Belgique le 29 janvier 2018. La séparation intervient à cette même époque, chaque partie prenant un logement séparé. De commun accord, le père va héberger l’enfant durant la semaine et la mère durant les week-ends. L’accord des parties pour l’hébergement de B. durant l’été 2018 implique que l’enfant séjourne durant la dernière quinzaine du mois d’août avec sa mère en Espagne.
Les parties n’ont pas le même projet pour la reprise de l’année scolaire après les vacances. Selon le père, l’enfant doit revenir en Belgique mais la mère n’a pas l’intention de le ramener en Belgique et entend s’installer définitivement en Espagne avec lui.
C’est contre la volonté de la mère que le père a finalement ramené l’enfant en Belgique au début du mois de septembre. La mère est à son tour venue en Belgique mais les parties n’ont pas trouvé d’accord.
Par exploit du 13 septembre 2018, le père a saisi le tribunal belge de ses demandes de mesures provisoires et de mesures au fond (responsabilité parentale).
Par requête du 14 septembre 2018, la mère a saisi le tribunal espagnol d’une « demande en déclaration de déplacement illicite » et l’Autorité centrale d’une demande de retour. Le 25 septembre 2018, elle a aussi saisi le tribunal espagnol de ses demandes de mesures provisoires (responsabilité parentale).
La mère est déboutée de sa demande de retour et de sa demande de condamnation aux dépens occasionnés par la procédure en Belgique et les frais de justice, car le déplacement litigieux ne tombe pas sous l’application de la convention de La Haye de 1980.
Pour qu’un déplacement d’enfant relève de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980, il doit répondre à la définition de l’article 3 de cette convention (absence d’autorisation de l’autre parent ayant le droit de garde) mais il est également nécessaire, au vu des objectifs de la convention, que l’auteur du déplacement ait eu la volonté de soustraire ainsi l’enfant à la juridiction du lieu de sa vie, de son milieu naturel, soit du lieu de sa résidence habituelle. Ceci résulte du rapport explicatif de la convention établi par Mme Pérez-Vera (citation des points 11,12,13,15,16).
Une voie de fait consistant en le déplacement d’un enfant vers l’Etat qui est celui de sa résidence habituelle sans l’autorisation de l’autre parent et partant en violation du principe de l’exercice conjoint du droit de garde, ne relève pas du champ d’application de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980.
La décision d’ordonner ou de refuser le retour n’emporte pas d’autorité de chose jugée à l’égard du juge du fond qui doit statuer sur sa compétence internationale, ni d’un juge pénal saisi sur la base d’une plainte pour enlèvement parental. Elle peut, tout au plus, constituer un élément auquel le juge pénal pourrait avoir égard dans son appréciation des faits reprochés.
La résidence habituelle correspond au lieu qui traduit une certaine intégration de l’enfant dans un environnement social et familial. L’intention commune des parents doit être mis en balance avec les éléments concrets de connexion avec l’un et l’autre Etat à la date du déplacement litigieux. Outre les conditions et les raisons du séjour de l’enfant sur le territoire d’un Etat membre ainsi que sa nationalité, d’autres facteurs supplémentaires doivent faire apparaître que cette présence n’a nullement un caractère temporaire. Dans la détermination de la résidence habituelle il convient de distinguer la simple présence temporaire ou occasionnelle de la résidence habituelle qui implique une certaine durée pour traduire une stabilité suffisante. En règle générale, l’environnement d’un enfant en bas âge est essentiellement un environnement familial.
Durant la vie commune, les liens d’intégration de l’enfant sont présents tant avec la Belgique qu’avec l’Espagne (résidence avec ses parents dans ces deux pays suivant les projets de vie de ses parents tant professionnels que familiaux). L’enfant a des relations avec des membres de sa famille dans les deux pays. Depuis la séparation en janvier 2018, l’enfant présente en Belgique une intégration tant scolaire que familiale effective qui s’inscrit dans la durée et la stabilité vu la réinscription de l’enfant dans son école belge pour l’année scolaire 2018-2019. La cour n’aura pas égard aux inscriptions scolaire et domiciliaire réalisées par la mère en Espagne, s’agissant d’actes posés unilatéralement par celle-ci. Les témoignages de proches produits par les parties ne présentent pas les garanties d’objectivité et de neutralité. La présence de l’enfant en Espagne durant les dernières semaines d’août ne présente pas les critères de durée et de stabilité nécessaires pour conclure que l’enfant y a eu sa résidence habituelle.
Une voie de fait consistant en le déplacement d’un enfant vers l’Etat qui est celui de sa résidence habituelle sans l’autorisation de l’autre parent et partant en violation du principe de l’exercice conjoint du droit de garde, ne relève pas du champ d’application de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980.
Communication judiciaire directe
Par une communication judiciaire directe réalisée par l’intermédiaire du Réseau International de Juges de la Haye en matière familiale (RIJH), la cour a interrogé l’Etat « d’origine » sur la nature et l’impact d’une décision rendue dans l’Etat « d’origine » dans le cadre d’une procédure « en déclaration du caractère illicite du déplacement ou du non-retour de l’enfant ». Une telle procédure peut intervenir sur la base de l’article 15 de la Convention de la Haye de 1980 à la demande de l’autorité judiciaire de l’Etat refuge saisie de la demande retour mais peut aussi être suscitée par une requête du parent alléguant être victime du déplacement illicite en se fondant directement sur le droit procédural interne espagnol (article 778 sexies du Code de procédure civile).
Une telle décision a pour seul objectif de réduire les difficultés que peut rencontrer l’autorité judiciaire de l’Etat requis pour arriver à une décision sur une requête de retour d’un enfant dans la mesure où il peut ne pas savoir comment la loi de la résidence habituelle de l’enfant s’appliquerait dans le cas particulier. Une telle décision ne peut remplacer ce que le juge saisi de la demande de retour décidera. Par conséquent, l’établissement de la résidence habituelle de l’enfant est une question qui repose, d’une part, sur les juges qui traitent du fond de l’affaire et, d’autre part, sur les juges qui traitent des demandes de retour en vue uniquement de l’objectif spécifique du retour.
Appel après exécution de l’ordre de retour
L’exécution volontaire de l’ordre de retour ne prive pas le parent de son droit de relever appel contre la décision de retour car il conserve un intérêt légal à postuler la réformation de sa condamnation aux dépens et aux frais encourus par l’autre parent. Il appartient, en conséquence, à la cour de dire pour droit si les conditions pour un retour de l’enfant étaient ou non réunies en l’espèce et ce, afin de statuer sur les frais et dépens. Tel est le seul objet que conserve la procédure d’appel après exécution du retour ordonné en première instance.
En tout état de cause, la décision d’ordonner ou de refuser le retour dans le cadre de la procédure de retour n’emporte pas d’autorité de chose jugée à l’égard du juge du fond qui doit statuer sur sa compétence internationale, ni d’un juge pénal saisi sur la base d’une plainte pour enlèvement parental. Elle peut, tout au plus, constituer un élément auquel le juge pénal pourrait avoir égard dans son appréciation des faits reprochés.
La décision d’ordonner ou de refuser le retour dans le cadre de la procédure de retour n’emporte pas d’autorité de chose jugée à l’égard du juge du fond qui doit statuer sur sa compétence internationale sur la base du règlement Bruxelles II bis en établissant le lieu de la résidence habituelle avant de pouvoir statuer sur les demandes relatives à la responsabilité parentale.
Auteur: Myriam de Hemptinne, Juge d'appel de la famille et de la jeunesse